BBC Proms : dimanche transatlantique 

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Suite de notre exploration des BBC Proms 2019 au Royal Albert Hall avec un dimanche grandiosement symphonique sous le signe transatlantique.

En matinée, le Royal Albert Hall accueillait l’étape londonienne de l’Orchestre national des jeunes des Etats-Unis d’Amérique placé sous la baguette de Sir Antonio Pappano. Fondée en 2012, cette phalange réunit des jeunes âgés de 16 à 19 ans et sélectionnés à travers les USA. Pour cette troisième tournée européenne de sa jeune histoire, l’orchestre proposait un programme exigeant d’une création et de deux tubes de la musique. Invitée de grand prestige, la mezzo-soprano Joyce DiDonato proposait les Nuits d’été d’Hector Berlioz. On sait la chanteuse très proche de l’univers de Berlioz et elle habite chaque mélodie avec une grande sensibilité et une parfaite intelligence du texte. Antonio Pappano, immense chef lyrique, est un accompagnateur idéal et suit sa soliste dans un esprit intimiste. Très jeune virtuose de la composition (il est né en 2000) Benjamin Beckman présentait Occidentalis, un court scherzo brillant et virtuose qui fait penser à John Adams. A seulement 19 ans, ce jeune homme fait preuve d’une grande maîtrise de l’outil orchestral. Pièce de résistance et tube des Proms, la Symphonie alpestre de Strauss mobilise tout l’effectif orchestral renforcé, pour les fanfares en coulisses, par les cuivres de l’Orchestre national des Jeunes de Grande-Bretagne. Dans un tel vaisseau architectural, l’oeuvre fait trembler les murs. En dépit des quelques petites scories techniques dans les attaques, l’Orchestre étasunien est épatant de virtuosité et de musicalité. Sir Antonio Pappano sait y faire : il fait vrombir les nombreux tumultes orchestraux mais cultive l’écoute mutuelle dans les accalmies instrumentales. Un “bis” de circonstance vient récompenser le public : “Nimrod” des Variations Enigma d’Elgar. 

Semyon Bychkov est un habitué du public londonien : il est un fidèle invité du BBC Symphony Orchestra dont il occupe la “Günter Wand Conducting Chair” créée pour lui en 2012 ! Le chef d’orchestre aime les programmes éditorialisés ! On se souvient l’an passé d’un concert tellurique célébrant Ravel, Berio et Stravinsky. Pour cette édition, Semyon Bychkov parcourt trois siècles de musique germano-autrichienne. Le compositeur Detlev Glanert est relativement peu connu en dehors du monde germanique et anglo-saxon. Pourtant, cet élève de Hans Werner Henze est l’un des plus importants de notre époque. Son Requiem for Hieronymus Bosch est incontestablement l’une des partitions majeures de ces dernières années. Né à Hambourg, Glanert avoue une fascination pour la musique de Brahms à laquelle il a consacré plusieurs orchestrations. Son Weites Land (Musik mit Brahms pour orchestre) mixe des notes de la Symphonie n°4 avec l’imagination du compositeur. La science de l’orchestration est impressionnante, d’autant plus que Semyon Bychkov fait briller tous les pupitres du BBC Symphony Orchestra. Cette pièce, jouée une quarantaine de fois depuis sa création en 2004, remporte un beau succès public. Superbe lied de Schubert, Einsamkeit est ici proposé dans l’orchestration de Glanert. Si celle-ci est sublime, on retient de cette partition la superbe prestation de la soprano Christina Gansch, tout en finesse et élégance sur un ton presque de diseuse. On sent le chef et les musiciens en apesanteur. 

On monte encore d’un cran avec une lecture magistrale de la Symphonie n°4 de Mahler. Dès les premières minutes, on comprend que le chef et l’orchestre sont ici dans un niveau superlatif d’engagement et de musicalité. Bychkov dirige un Mahler très brassé et narratif, presque à l’ancienne par sa flexibilité et son adaptabilité aux tons et climax de cette partition où le drame point derrière la joliesse. Tout l’orchestre fusionne avec son maestro et les pupitres rivalisent de qualité : clarinette stratosphérique, cor passionné, hautbois et bassons goguenards. Cette symphonie est une fête instrumentale. C’est avec plaisir que l’on retrouve Christina Gansch pour le lied final, et là encore on admire l’intelligence du texte et le fraîcheur du timbre. Une très grande soirée. 

Londres, Royal Albert Hall, 11 août 2019 

Crédits photographiques : Chris Christodoulou

Pierre-Jean Tribot   

 

     

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