Rachmaninov à l’honneur à la Philharmonie du Luxembourg
Ce samedi 28 octobre a lieu le deuxième concert du Philhadelphia Orchestra à la Philharmonie de Luxembourg. La phalange américaine est placée sous la direction de Yannick Nézet-Séguin, directeur musical de cet orchestre depuis plus de 10 ans maintenant. En soliste, nous retrouvons un des pianistes les plus acclamés de sa génération, Daniil Trifonov. Tout comme pour le concert de la veille, cette soirée met la musique de Sergei Rachmaninov à l’honneur avec son concerto le moins connu, le Concerto pour piano et orchestre N°4 en sol mineur Op. 40, ainsi que sa célèbre Symphonie N° 2 en mi mineur Op. 27.
La soirée débute donc avec le Concerto pour piano et orchestre N°4. Ce concerto, commencé en Russie avant la révolution d’Octobre et terminé aux États-Unis en 1926 (avant d’être révisé en 1928 et 1941), est plus que probablement le moins connu de Rachmaninov. La création a eu lieu le 18 mars 1927 par le Philadelphia Orchestra sous la direction de Leopold Stokowski avec Rachmaninov en soliste. Les critiques à la première de cette œuvre étaient acerbes,et cependant, ce concerto est loin d’être inintéressant. Dès les premières mesures, nous sommes emportés par le tourbillon de l’orchestre avant de retrouver pied avec l’arrivée du piano. Cet Allegro Vivace permet de montrer la virtuosité du soliste. Il faut cependant attendre le tout premier grand tutti pour voir Daniil Trifonov se lâcher complètement. Le Largo est un moment de quiétude. Trifonov use d’un jeu délicat et musical qui a le don de capter toute l’attention de l’audience. Le troisième mouvement s’enchaine attaca au deuxième. Cette partie de l’œuvre est mouvementée, bien que d’un point de vue compositionnel, le flux de l’énergie ne soit pas totalement continu. On peut tout de même percevoir un sens du rythme et des dynamiques probablement redevables à Prokofiev. Aussi bien le pianiste que l’orchestre sont très précis dans leur jeu malgré la difficulté de la mise en place de cette œuvre. Notons tout de même un petit moment de flottement de quelques mesures au début du troisième mouvement au niveau de la percussion et des contretemps mais cela s’est vite remis en place. Trifonov termine de nous séduire avec l’interprétation inspirée de ce dernier mouvement. Yannick Nézet-Séguin prête une attention particulière au soliste. L’orchestre est donc très précis dans toutes ses interventions et est parfaitement en place avec le pianiste. Ils accompagnent merveilleusement le soliste sans prendre trop de place, ce qui lui laisse la possibilité de faire montre de ses idées musicales et de sa maîtrise de l’œuvre. Dès la fin du concerto, le public acclame longuement cette prestation. En bis, Daniil Trifonov interprète sous l’œil bienveillant de Yannick Nézet-Séguin, assis sur son podium à côté du pianiste, une transcription de la Vocalise Op. 34 N°14 de Rachmaninov. Ce moment musical suspendu clôture de la plus belle des manières cette première partie.
Après l’entracte, place à la Symphonie N° 2 en mi mineur Op. 27 du compositeur russe. Cette œuvre est créée le 26 janvier 1908 à Saint-Pétersbourg sous la direction de Rachmaninov. Contemporaine du Troisième concerto pour piano et du poème symphonique l’Ile des Morts, cette symphonie fait partie de la période d’épanouissement de composition de Rachmaninov. Le thème du Largo prend petit à petit place dans l’orchestre d’un ton assez mélancolique, mystérieux. Cette introduction, assez longue, aboutit à l’Allegro Moderato. Cette partie de l’oeuvre est bien plus animée et voit différents dialogues s’établir entre les cordes et l’harmonie. Le climat change avec le début du développement. Nézet-Séguin et l’orchestre parviennent à donner un autre caractère, plus menaçant. La réexposition, tout d’abord en mi majeur, est assez majestueuse, avant que la tonalité de mi mineur ne reprenne place pour la coda. La course énergétique en est donc atténuée. Le Scherzo est un mélange de trois thèmes (grosso modo, une forme ABACABA). Le premier est interprété avec un certain héroïsme, le second est bien plus lyrique et rubato tandis que le dernier est dans l’esprit du fugato. Ces trois caractères sont très justement interprétés par l’orchestre avec des transitions claires sans pour autant être brusques. Dans cette symphonie, l’apogée du romantisme et du lyrisme se traduit par le troisième mouvement, l’Adagio. Plusieurs sentiments nous gagnent lors de l'interprétation de ce mouvement, comme la nostalgie. Yannick Nézet-Séguin et le Philadelphia Orchestra proposent une version d’une beauté bouleversante alliant lyrisme, passion et contraste à l’instar du superbe solo de clarinette de Ricardo Morales. Il parvient à aller chercher des pianissimos plus qu’impressionnants. Le dernier mouvement, l’Allegro Vivace, est quant à lui un condensé exaltant de joie et de jubilation. Cette fin magistrale clôture en beauté cette symphonie.
Le public est plus que conquis par l’interprétation magistrale de cette symphonie, il suffit d’entendre les vivats et applaudissements se transformant très rapidement en une standing ovation unanime. La phalange américaine et son directeur musical ont déployé toutes leurs capacités et qualités tant au niveau des nuances, des contrastes, de la musicalité qu’au niveau du caractère. Les interventions de l’harmonie sont d’une grande justesse tandis que les cordes déploient un son rond et chaud qui est inhérent à cet orchestre. La cohésion et l’homogénéité sont bien sûr agréables à écouter mais également à voir. Nous sentons que chaque pupitre est animé par une passion commune. Yannick Nézet-Séguin fait preuve de musicalité et de précision pour guider avec brio l’orchestre.
Nézet-Séguin prend brièvement la parole pour dire “merci beaucoup” en luxembourgeois. Il continue en anglais pour remercier l’audience et expliquer que l’orchestre jouera en bis le célèbre Prélude en do dièse mineur de Rachmaninov dans le splendide arrangement de Leopold Stokowski. Tout le monde connait évidemment la collaboration de longue durée entre Stokowski et le compositeur russe. Cette pièce clôture de façon grandiose ce deuxième et dernier concert consacré à Rachmaninov.
Luxembourg, la Philharmonie, le 28 octobre 2023
Thimothée Grandjean, Reporter de l’Imep
Crédits photographiques : Philharmonie Luxembourg / Sébastien Grébille
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