Récital d’orgue baroque nord-allemand sur deux historiques instruments polonais

par

Polish Historic Organs in Olkusz & Pasłęk. Heinrich SCHEIDEMANN (1595-1663) : Die nobis Maria ; Vincent LÜBECK (1654-1740) : Praeludium en ut majeur ; Franz TUNDER (1614-1667) : Komm, heiliger Geist, Herre Gott ; Johann Adam REINCKEN (1623-1722) : An Wasserflüssen Babylon ; Dietrich BUXTEHUDE (1637-1707) : Praeludium en fa dièse mineur, BuxWV 146 ; Ich ruf zu dir, BuxWV 196 ; Toccata en ré mineur, BuxWV 155 ; Nicolaus BRUHNS (1665-1697) : Praeludium en mi mineur. Mateusz Rzewuski, orgues d’ Olkusz et Pasłęk. 2020. Livret en polonais, anglais. TT 65’48. Paweł Ożga Studio POS-008

Le premier album de Mateusz Rzewuski (Dupré/Messiaen à Sainte-Croix d’Orléans en 2018) illustrait sa thèse de doctorat pour l’Université de Varsovie. Pour son second CD soliste, il a opté pour deux historiques fleurons de son pays natal et nous propose un répertoire qui lui est cher : le baroque nord-allemand. L’orgue d’Olkusz, supposément le plus ancien (encore jouable) de Pologne, connaît ici son quatrième enregistrement depuis la restauration achevée en 2018. On apprécie ce choix d’un des plus intéressants instruments européens de la Renaissance tardive, d’autant que le CD de Krzysztof Urbaniak (chez Ars Sonora) est épuisé. La plupart de ses trente-et-un jeux (sauf quelques-uns comme Krumbhorn, Cornet, mixtures et mutations) ont été préservés depuis la construction au début du XVIIe siècle (1611-1633) par les facteurs de Cracovie Hans Hummel et son élève Jerzy Nitrowski. 

On saluera aussi le choix des pièces, bien connues des amateurs de ce répertoire septentrional, qui permettent de situer la personnalité des deux orgues ici entendus. Et d’apprécier les qualités artistiques du jeune interprète, qui a complété sa formation à la Musikhochschule de Lübeck, au CRR de Paris et à Bâle. Les pages flamboyantes (tel le Praeludium en ut majeur de Vincent Lübeck et ses exigeants passages pedaliter) alternent avec des morceaux narratifs comme le Komm, heiliger Geist de Franz Tunder pour la liturgie de Pentecôte. Et au sommet : l’immense Am Wasserflüssen Babylon de Johann Adam Reincken qui, en une vingtaine de minutes, déploie un inventaire des procédés de la Fantaisie de choral. Les deux claviers d’Olkusz ne suffisent peut-être pas à générer les effets de réponse requis par l’alternance des plans (Rückpositiv/Oberwerk). Toutefois, par sa prosodie moins soutenue qu’attentive, sans presser l’allure, Mateusz Rzewuski ne verrouille pas les chemins, tel un poète qui musarde sur les rives de ce fascinant écheveau tressé d’imitations, en révélant sa foisonnante imagination. Peut-être pas la lecture la plus serrée qu’on ait entendue, mais une des plus émouvantes, assurément, acquise par les vertus de la patience et de l’écoute intérieure du texte.

La seconde partie du programme nous transporte à cinq cents kilomètres vers la cote, en Varmie-Mazurie. L’église św. Bartłomieja de Pasłęk abrite un orgue construit en 1717-1719 par Andreas Hildebrandt qui réutilisa une partie d’un précédent instrument de 1597. Deux buffets se font face de part et d’autre du vitrail sur la tribune. Après de multiples altérations et dégradations au fil du temps, une restauration par les ateliers Wegscheider de Dresde (2010-2013) s’est inspirée de l’état du début du XVIIIe siècle.

Buxtehude à l’honneur, notamment le douloureux Praeludium en fa dièse mineur, où Mateusz Rzewuski prend le temps de déjouer les élans trop simplistes pour mieux ciseler les rencontres harmoniques. La première fugue en rythme pointé (1’27) se déploie ainsi parcimonieusement, sans excès de contraste avec la seconde (2’59). Les anches ligneuses conviennent au veinage des textures requis pour le volubile et obsessif postlude (5’48). Des anches idéalement abrasives qu’on retrouve au début de la Toccata, paraphant ainsi son caractère acariâtre. L’interprète y confirme ensuite sa propension à sculpter patiemment les sections fuguées, modelant la conduite polyphonique par un savant dosage des retards, un ingénieux façonnage du contrepoint. Si on devait en résumer le style, qui est aussi celui qui se dégage du CD, et le cerner par quelques alternatives qui connaissent leur Dietrich sur le bout des doigts, on le placerait entre la solide charpente de René Saorgin (Harmonia Mundi) et la probité recueillie de Jean-Charles Ablitzer (Harmonic Records), plutôt que le brio d’un Michel Chapuis (Valois). L’intelligence et le questionnement, plutôt que l’éclat et les certitudes. Loin de toute volubilité superficielle, Mateusz Rzewuski restitue ces œuvres dans leur entière densité expressive, sans renoncer aux nécessaires envolées, par exemple l’agréable sautillement dans les passages chorégraphiques du « petit » Prélude en mi mineur de Bruhns.

La discographie s’avère certes abondante, pour tel ou tel opus on gardera tous nos préférences : le Reincken de Bernard Foccroulle chez Ricercar, le BuxWV146 d’Olivier Vernet à Viry-Chatillon, le BuxWV155 de Martin Rost à Basedow chez MDG… En tout cas, ces deux instruments seront probablement une découverte pour bon nombre d’auditeurs. Au-delà de cette révélation du patrimoine organologique polonais, on est heureux de féliciter la réussite d’un organiste qu’on dirait prometteur s’il n’était déjà accompli, et qui s’est audiblement accordé le recul et la réflexion nécessaires pour nous offrir une vision profonde et mûre de toutes ces pages qu’il affectionne. 

Christophe Steyne

Son : 9 – Livret : 10 – Répertoire : 10 – Interprétation : 9

Christophe Steyne

 

 

 

 

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