Réédition des quatre premières symphonies de Vierne par Daniel Roth à Saint-Sulpice
Louis Vierne (1870-1937) : Symphonies no 1 en ré mineur Op. 14, no 2 en mi mineur Op. 20, no 3 en fa dièse mineur Op. 28, no 4 en sol mineur Op. 32. Daniel Roth, orgue. Livret en anglais, allemand, français. Octobre 2003, septembre 2009 ; réédition 2022. Digipack deux SACDs. TT 79’18 + 66’31. Aeolus AE-11231
Pour le commun des mélomanes, le nom de Louis Vierne reste peut-être associé à deux pièces qui suffisent à une large postérité : la douce-amère Berceuse, et l’ostinato-crescendo du Carillon de Westminster. Pour autant, son œuvre d’orgue éclipsa le reste de sa production musicale : les six symphonies, écrites entre 1898 (l’année de ses fiançailles) et 1930, constituent un témoignage majeur de l’école post-romantique française et succèdent, chronologiquement, esthétiquement, au massif légué par Charles-Marie Widor, qui en influença la virtuosité, tandis que le chromatisme de César Franck fut une autre source d’inspiration pour leur langage. On y sent les enthousiasmes, mais surtout les blessures, de ce compositeur durement éprouvé par la vie.
À l’occasion du quatre-vingtième anniversaire de l’éminent Daniel Roth, le label Aeolus a eu la bonne idée de rééditer et coupler les deux volumes groupant les quatre premières symphonies, enregistrés en 2003 et 2009 à une console dont il est titulaire depuis 1985 (on a récemment appris que le relais est passé à Sophie-Véronique Cauchefer et Karol Mossakowski). Deux parutions alors dûment saluées par la critique. Pour mémoire, on rappellera ses affinités de longue date avec la musique de Vierne, comme en témoignent un florilège à Saint-Ouen de Rouen pour Erato il y a un demi-siècle, et dix ans plus tard la troisième symphonie à la tribune parisienne de Saint-Antoine-des-Quinze-Vingts (Motette). Pour les deux autres symphonies, éditées en 2019 sous même étiquette, Daniel Roth avait laissé place à son confrère américain Stephen Tharp.
Parmi les sommets de ces quatre opus, on citera le glorieux Allegro qui conclut la no 1 (laquelle inclut d’ailleurs le seul exemple de fugue sous cette plume), l’effervescent et néo-mendelssohnien Scherzo de la no 2, l’intense Adagio, quasi-wagnérien, de la sombre no 3, et l’impétueux, douloureux finale de la no 4, diligenté par un irrésistible perpetuum mobile. Doit-on rappeler que le jeune Vierne assista Widor à Saint-Sulpice, où celui-ci inaugura la première symphonie, et que le vaste instrument (cent jeux à l’époque, échafaudés sur six étages, alors un des plus grands d’Europe) reste un des mieux préservés que Cavaillé-Coll offrit à la capitale ? Une option des plus légitimes, gratifiantes.
Pour qui souhaite multiplier les perspectives esthétiques sur l’ensemble des six symphonies, on pourra se fier à quelques incarnations discographiques majeures : le style désinhibé de Pierre Cochereau à Notre-Dame (Solstice, 1975-1976), la lecture épurée de Ben Van Oosten (MDG, 1985), le geste flamboyant de Günther Kaunzinger à l'Abbaye de Waldsassen (Koch, 1986). Pour l’ensemble de ses qualités, artistiques, éditoriales et sonores, on aura compris que le présent digipack constitue une autre incitation de premier choix.
Le superbe livret présente une biographie du compositeur et détaille les œuvres. Parée de la caution audiophile en SACD (et même si définition, transparence et relief auraient pu être optimisés), la captation reproduit la stature de l’orgue dans une acoustique ample et un brin distante, propice au raffinement des atmosphères (le Menuet de la quatrième symphonie, délicatement ciselé) comme aux effets les plus grandioses. Sur le site internet consacré à l’église Saint-Sulpice, Daniel Roth évoque une facture « où la tradition classique et le renouveau romantique sont intimement liés » : on dirait volontiers la même chose de cette interprétation où la clarté du propos et l’éloquence des affects contractent une suprême alliance, sous les soins experts d’un des éminents doyens de notre voisin hexagonal.
Écoute réalisée sur la base du SACD
Christophe Steyne
Son : 8,5 – Livret : 9,5 – Répertoire : 9-10 – Interprétation : 10