Réédition d’un hommage de la famille Roth à Camille Saint-Saëns 

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Camille Saint-Saëns (1835-1921) : Symphonie n° 3 en ut mineur avec orgue op. 78 ; Concerto pour piano et orchestre n° 4 en ut mineur op. 44. Daniel Roth, orgue ; Jean-François Heisser, piano ; Les Siècles, direction François-Xavier Roth. 2009/10. Notice en français, en anglais et en allemand. 61.22. Harmonia Mundi HMM 905348. 

L’hommage largement rendu à Camille Saint-Saëns pour saluer les cent ans de sa disparition se complète par la réédition opportune chez Harmonia Mundi de deux concerts publics enregistrés à Paris en 2009 et en 2010, parus dans la foulée sous ce label, en collaboration avec Musicales Actes Sud (ASM04). Selon son habitude, l’orchestre Les Siècles de François-Xavier Roth joue sur des instruments historiques. Ce témoignage, des plus intéressants sur le plan musical, est malheureusement desservi par une réalisation sonore qui n’est pas idéale.

On ne présente plus la majestueuse Symphonie n° 3 avec orgue, créée à Londres sous la direction de Saint-Saëns le 19 mai 1886, un an avant que le public parisien ne l’accueille triomphalement, et dédiée à Franz Liszt qui devait disparaître deux mois plus tard. Elle a été proposée en concert, le 16 mai 2010, à l’église Saint-Sulpice de la capitale de l’Hexagone, où trône un fantastique Cavaillé-Coll dont le titulaire, Daniel Roth (°1942), a succédé, depuis 1985, aux célèbres Lefébure-Wély, Widor, Dupré et Grunenwald. C’est en quelque sorte une histoire de famille, François-Xavier Roth (°1971) étant à la tête de sa formation : j’ai dirigé cette œuvre presque exclusivement avec mon père, précise-t-il dans un entretien avec le chroniqueur musical Guillaume Tion. Il ajoute : J’ai grandi près de mon père au Sacré-Cœur ou à Saint-Sulpice, je me suis construit musicalement auprès de lui et de ces instruments-là. […] Cette symphonie est intimement liée à lui et aux débuts des Siècles. Nous l’avons donnée à Saint-Sulpice, mais aussi à l’abbatiale Saint-Ouen de Rouen, à Londres, à Cologne… 

La complicité entre le père et le fils, alliée à l’engagement des musiciens, est palpable dans ce concert qui a dû ravir les mélomanes présents. Car tout s’y trouve : une noble énergie, un équilibre entre les masses, des accents précis et jubilatoires, de la poésie, des contrastes de couleurs, des reliefs sensibles et une vigueur qui sert la partition comme elle le mérite. Le son du Cavaillé-Coll est tout simplement extraordinaire et son entrée dans le Finale, triomphale sans excès, engendre un réel impact physique. Hélas, dans cet édifice religieux réverbéré, l’équilibre est loin d’être maîtrisé, François Xavier-Roth reconnaissant que le moment du concert peut être compliqué pour le public, car les sonorités entre l’orchestre et l’orgue sont éloignées. Ce qui donne un résultat parfois un peu confus et manquant de netteté. On ne comparera cette version à aucune autre pour ces motifs, mais on est séduit, quoi qu’il en soit, par la vivacité, la monumentalité dominée et une élégance qui sied particulièrement à la partition. Malgré les limites techniques, cette réédition est la bienvenue, elle préserve un témoignage d’interprétation qui mérite que l’on s’y attarde.

La symphonie est complétée par un autre concert parisien, du 16 juin 2009, capté cette fois à l’Opéra-Comique. Le Concerto pour piano n° 4 de 1875 est confié à Jean-François Heisser (°1950) qui joue sur un piano Erard de 1874, situant d’emblée l’œuvre dans l’époque de sa composition. Originaire de Saint-Etienne, Heisser a été notamment l’élève de Vlado Perlemuter au Conservatoire de Paris, où il est devenu plus tard professeur. Sa discographie s’attache aux compositeurs romantiques et il s’est particulièrement distingué dans des enregistrements consacrés à la musique espagnole. Ce quatrième concerto, d’influence lisztienne, dont Alfred Cortot a laissé une inoubliable version avec Charles Munch au milieu des années 1935, a connu en 2019 sa référence moderne grâce à Alexandre Kantorow, avec la Tapiola Sinfonietta dirigée par son père Jean-Jacques Kantorow (SACD BIS). La séduisante gravure de Heisser, dont la précision et la vivacité font merveille dans les allegros, transmet du lyrisme aux accents feutrés de l’Andante ; l’Erard possède une belle sonorité dansante. Mais là aussi, la captation enlève une part de magie à ce concerto moins souvent joué que les numéros 2 et 5 « Egyptien ». Le piano est enregistré trop en avant de l’orchestre, réduisant ainsi toute la complicité qui devrait régir l’ensemble. Ce sont les aléas d’un concert public… 

On s’en voudrait cependant de ne pas considérer cet album pour la démarche autour des instruments historiques et pour l’investissement des interprètes dont l’engagement au service de cette musique si bien écrite ne se dément à aucun instant, Xavier-François Roth menant le tout avec son habituel entrain.

Son : 7  Notice : 9  Répertoire : 10  Interprétation : symphonie 9 / concerto : 8

Jean Lacroix   

 

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