Régine Crespin, une somme pour attendre 2027

par

Jérôme PesquéRégine Crespin – La vie et le chant d’une femme. Paris, 2021. ISBN 9782957686209. 636 p., 27 p. d’illustrations hors-texte

On célébrera le centenaire de Régine Crespin, comme le vingtenaire de sa disparition. Si elle chanta autant Tosca que la Maréchale, elle fut la première, après Germaine Lubin, et avant Françoise Pollet, à illustrer magistralement les grandes pages lyriques françaises et allemandes, Tosca et Desdémone demeurant de surprenantes incarnations italiennes. Le titre du présent ouvrage fait référence à celui de son autobiographie -La vie et l’amour d‘une femme- lui-même emprunté au cycle bien connu de Schumann. C’est le portrait de la cantatrice, Cassandre/Didon, dans les Troyens (à Garnier, 1961) qui orne la couverture, fort à propos.

Nîmois, musicien et historien, Jérôme Pesqué, dont l’activité est familière aux amateurs d’art lyrique (ODB), a patiemment réuni documents et témoignages relatifs à cette grande dame qu’il eut le privilège de connaître. Figure attachante s’il en est, en dehors de ses qualités musicales et dramatiques, Régine Crespin fait partie de ces femmes rares par leur jovialité, leur franchise de ton, leur gourmandise gaillarde aussi, qui se sont exprimées tout au long de leur vie. Elle fumait des Gauloises en cachette, aimait le gros rouge (« quand il est bon ») …

Le fort volume, de plus de 600 pages, n’est pas un roman-fleuve qui se lit d’une traite. Il s’articule autour de deux axes, essentiels. La biographie la mieux documentée, organisée par périodes, suivie d’une « chronologie de carrière » où la trajectoire lyrique est décrite avec minutie. Ainsi suivons-nous pas à pas l’évolution de la voix et du répertoire à travers les programmes, témoignages, interviews et critiques. Appelé à devenir la référence pour la connaissance de notre diva, mais aussi du chant français et des conditions de son épanouissement dans la seconde moitié du siècle dernier, le volume restera à portée de main de tout amateur de chant lyrique. De son berceau nîmois, la fillette d’ascendance ardéchoise et italienne découvrant sa voix, dès 1943, son entrée au Conservatoire de Paris en 49, ses débuts à Mulhouse (Elsa en 50), à Bayreuth, et son accession à la gloire internationale, ses adieux à la scène, tout est scrupuleusement observé, avec le souci constant de se référer à des sources fiables. On avait oublié les huées, injustifiées et profondément blessantes, dont Régine Crespin allait être l’objet à Paris. Le croisement des témoignages nous fait revivre ces moments et leurs conséquences douloureuses.

La « chronologie de carrière », partie la plus développée, recense les ouvrages illustrés au fil des ans. Jérôme Pesqué a patiemment collationné toutes les informations, programmes, critiques, entretiens etc. pour restituer un extraordinaire parcours. Même si tous les amateurs sont supposés connaître les contraintes du travail le plus exigeant attendu du chanteur, les productions, assorties de longs et pénibles voyages, se succèdent à un rythme incroyable, avec l’élargissement constant d’un vaste répertoire et le souci de toujours progresser et transmettre.

Trois témoignages (Isabelle Masset, Gérard de Botton et Léo Cognée, Président de l’Association internationale Régine Crespin), la relation de la rencontre publique organisée à Nîmes par l’auteur à l’occasion de l’hommage à Régine Crespin en 2000, complètent cette partie centrale du tableau. Un abécédaire, illustré d’anecdotes classées, se lit avec le sourire comme une savoureuse suite de potins, tous anodins, qui composent cependant un portrait particulièrement juste, insufflant la vie quotidienne dans un ouvrage où les monuments lyriques, hiératiques, occupent une place de choix. Les mentors, assortis d’intéressantes précisions biographiques, permettent de mesurer l’influence de tel ou telle et d’éclairer les choix artistiques de la cantatrice. Les illustrations, autant de découvertes, sont ici desservies par la qualité médiocre de leur reproduction. Mais le prix modéré de l’ouvrage, compte-tenu de son volume et de sa richesse, l’explique aisément.

A un index des œuvres citées, l’auteur a préféré « des chiffres et des rôles », chapitre fort intéressant qui ne se substitue pas à un précieux outil de recherche. De même, un index des noms de personnes, de lieux, d’institutions sera le bienvenu lors de la refonte du centenaire. La bibliographie, copieuse, et la riche discographie, toujours provisoires, complètent heureusement ce pavé.

L’édition du centenaire, en 2027, évidemment enrichie, apportera toutes les réponses à ces derniers questionnements, nous en sommes sûrs. Dans cette attente, autant bienvenue que surprenante par sa richesse et sa diversité, voici la somme dont le passionné d’art lyrique, le curieux comme le chercheur feront leur miel (*).

(*) Comment ne pas être surpris et ému qu’aucun grand éditeur n’ait pris la responsabilité de publier cet ouvrage, essentiel, et promis à une large diffusion (ne serait-ce que par sa présence sur Amazon) ?

Yvan Beuvart

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