Giedymin Prosper Rodkiewicz, un poète du piano oublié 

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Giedymin Prosper Rodziewicz (1834-1891) : Valses, Nocturne, Mazurkas, La Mélancolie, Galops, Polkas-Mazurkas, Danse chinoise, Harmonie du soir, Impromptu, Rêverie, Danse chinoise, Divertissement dramatique. Wlodzimierz Lebiecki, piano. 2021. Notice en anglais, en polonais, en russe et en biélorusse. 60.46. Dux 1790.

Originaire de Yuratishki, cité de l’Empire russe du XIXe siècle située aujourd’hui en Biélorussie, Giedymin Prosper Rodkiewicz est élevé dans une famille de petite noblesse ; son père est assesseur à la cour de justice de Vilnius. C’est là qu’il entame ses études musicales avant de travailler dans l’administration. On le retrouve au Conservatoire de Paris en 1854 ; il s’y perfectionne pendant deux ans avant de rentrer au pays, de s’occuper du domaine familial tout en s’adonnant essentiellement au piano, instrument auquel il se consacre de façon quasi exclusive. Il s’investit dans un mouvement patriotique qui rassemble la noblesse polonaise, biélorusse et lituanienne, se marie avec une jeune femme riche, Teresa, qui devient sa muse et lui donne six enfants avant de mourir en 1882, le laissant désespéré. Rodkiewicz laisse un catalogue de 75 opus pour le piano, de petites pièces pour la plupart, destinées aux réunions des salons de la noblesse locale. Certaines ont été publiées à Varsovie, à Leipzig ou à Kiev mais, pour le présent album qui ne comprend que de premières gravures mondiales, il a été fait appel aux autographes ou aux copies qui dorment à Lublin dans les collections familiales.

Compositeur totalement oublié, Giedymin Rodkiewicz mérite cependant qu’on lui prête attention. Servie par un lyrisme délicat, sa production s’inscrit dans la ligne de Chopin, mais aussi de la culture russe dominante dans cette partie de l’Europe du XIXe siècle. L’intéressante notice est signée par l’interprète, Wlodzimierz Lebiecki, pianiste biélorusse-polonais qui s’est formé notamment à Minsk. Le programme s’ouvre par la Valse n° 2 op. 24, page éloquente d’un peu plus de six minutes, que Lebiecki n’estime pas inférieure à celles de Chopin ou même de Johann Strauss, soulignant le panache et l’atmosphère symphonique qui la traversent. Une autre Valse, n° 3 op. 33, clôture le récital dans un climat plus intime. On se laisse prendre à cette poésie raffinée. Lebiecki signale que l’on y découvre des similitudes avec Chopin, et évoque l’Etude op. 10 n° 8 pour son élégance et son lyrisme, et la Valse op. 66 n°1 pour la délicatesse de la narration. Après un Nocturne qui s’inscrit dans la ligne de la rêverie romantique, des pages comme La Mélancolie op. 10, l’Harmonie du soir op. 11 et la Rêverie op. 13 trouvent plutôt leur inspiration chez Liszt, leur caractère dramatique, voire tragique (Harmonie du soir), étant nettement accentué. La Mazurka op. 28 n° 1 et une série de cinq autres de même appellation, sans numéro d’opus, très mélodieuses et expressives, ne peuvent cacher elles non plus leur dévotion à Chopin. Lebiecki ne précise pas les dates de composition, peut-être ignorées, de ces miniatures. Mais on ne peut que partager son avis quant à une période de création identique.

Deux Polkas-Mazurkas confirment de façon éclairante l’ambiance des salons au sein desquels Rodkiewicz se produisait et distillait sa musique. Cette fois, c’est à un élève de John Field, Alexander Gurilyov (1803-1858), alors très en vogue pour ses pièces subtiles et imprégnées de culture russe, qu’elles se rattachent par leur caractère dansant et populaire. Deux plaisants Galops et une attrayante Danse chinoise indiquent la facilité avec laquelle le compositeur crée un climat léger et dynamique. Quant au Divertissement dramatique qui précède la Valse n° 3, il s’agit d’une page résolument romantique qui, en un peu plus de huit minutes, crée un univers aux couleurs engagées dont la narration entraîne l’auditeur dans des alternances de force et de douceur très chantantes. C’est sans doute l’œuvre la plus inspirée de cet album qui a des côtés bien séduisants.

Dans cet enregistrement de janvier 2021 effectué en la Salle Penderecki de la ville polonaise de Radom, Wlodzimierz Lebiecki a le mérite de mettre en lumière les partitions de Giedymin Rodkiewicz qu’il a jouées en concert à plusieurs reprises. Même si l’ombre de Chopin est très (trop ?) présente, même si l’on peut considérer que l’intérêt de cette gravure est peut-être d’abord documentaire, l’hommage rendu au compositeur offrira de jolis plaisirs aux amateurs de piano romantique.  

Son : 9  Notice : 10  Répertoire : 7,5  Interprétation : 9

Jean Lacroix  

 

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