Resplendissante valorisation des hymnes de Pepusch pour le Duc de Chandos
Chandos Anthems. Johann Christoph Pepusch (1667-1752) : Rejoyce in the Lord. O Praise the Lord, laud ye the name of the Lord. Magnificat. Concerto pour hautbois en si bémol majeur. Ciara Hendrick, soprano. Alex Potter, Hugh Cutting, contre-ténor. Nicholas Mulroy, Nicholas Todd, ténor. Vitali Rozynko, Edward Grint, basse. The Girl Choristers of Canterbury Cathedral, direction David Newsholme. The Harmonious Society of Tickle-Fiddle Gentlemen, direction Robert Rawson. Avril 2023. Livret en anglais, allemand, français. Paroles en langue originale anglaise sans traduction. TT 63’34. Accent ACC 24397
Aussi prestigieuse qu’éphémère, la gloire de la Cannons House, dans le nord de Londres, rayonna pendant un quart de siècle. Construit vers 1713 à Edgware sur le lieu d’une ancienne demeure, ce manoir était célèbre pour sa magnificence. Cette opulente résidence de James Brydges (1673-1744), Duke of Chandos, était réputée pour ses jardins somptueux, ses décorations luxueuses et ses fêtes fastueuses, qui attiraient une foule de visiteurs. Hélas, la ruine de la famille contraignit à la démolition du palais, vendu à la découpe en 1747 par Henry, fils et héritier du premier duc. Le style italien dicta le goût de l’architecture palladienne, de la décoration intérieure, mais aussi de la musique écrite pour l’aristocrate. Dans le répertoire sacré, des hymnes purent être conçues avec parure orchestrale, malgré la prohibition en vigueur depuis 1689 (seul l’orgue était jugé assez digne d’accompagner l’office divin), car la chapelle ducale en tant que domaine privé échappait aux normes anglicanes du Royaume.
Les « Chandos Anthems » de Haendel, hôte de marque, en constituent le plus célèbre exemple. Mais une petite vingtaine furent aussi composés par Johann Christoph Pepusch, un Berlinois installé à Londres dès 1704 et nommé Directeur de la Musique de Cannons en 1719. L’admiration de ce Prussien pour les modèles cultivés dans la Cité des Doges, ses tropismes pour le Prete rosso, imprègnent le masque Venus & Adonis (1715), et son catalogue instrumental. Dans un disque de 2012 pour le label Ramée, l’ensemble « The Harmonious Society of Tickle-Fiddle Gentlemen » avait déjà enregistré l’unique concerto pour hautbois qui survit à l’état complet de la plume de Pepusch. La compagnie dirigée par Robert Rawson ajoute ici au programme un mouvement rescapé d’un autre concerto, qui avoue son inspiration vivaldienne, et se trouve ici superbement servi par Mark Baigent en soliste.
Suivant les mêmes inclinations italianistes, les anthems purent s’adonner à une ferveur théâtralisée, digne de l’opéra. La discographie s’est peu emparée de ces fresques. L’on sait donc gré au présent CD de les aborder. Flamboyantes, même Rejoyce in the Lord, page de circonstance jouée pour le jour de Noël en 1719, et dont l’éloquence parfois exubérante s’affranchit de la sobriété prônée par le clergé de l’époque. Pepusch y emploie une formation élargie, telle qu’il avait pu en bénéficier à sa nomination en tant que Music Director, étoffant le petit ensemble avec une dizaine de cordes, hautbois, basson, trompette, et chœur à l’avenant. Le même apparat s’exprime dans le Magnificat, premier exemple sui generis produit sur le sol anglais, probablement écrit l’année suivante pour l’inauguration de la chapelle, ornée par les peintures d’Antonio Bellucci qui sont reproduites sur la couverture du digipack. Pourtant, la louange du O Praise the Lord, laud ye the name of the Lord en revient à un continuo plus modeste, qui préfigure les déboires financiers de James Brydges, victime de spéculation mal placée.
Captée dans une église du Kent, l’interprétation qu’anime Robert Rawson convainc d’emblée et ne déçoit jamais : dynamique, volubile, et incarnée. Les contributions vocales sont équitablement réparties entre les six chanteurs. Au ténor : Nicholas Mulroy plutôt sollicité dans la cantate de Nativité, et Nicholas Todd dans O Praise the Lord. Le contreténor Hugh Cuttin s’intègre aux ensembles, tandis que dans la même tessiture Alex Potter s’honore de moments solistes, ainsi l’émouvant Thy name O Lord. Dans le registre basse, Vitali Rozynko et Edward Grint se partagent les deux hymnes. La soprano Ciara Hendrick instille son timbre limpide et ingénu.
Ce plateau est associé à un chœur de jeunes femmes, là où la tradition, et singulièrement à la chapelle de Cannons, enrôlait plutôt des garçonnets. Tempora mutantur. Vingt ans après la cathédrale de Salisbury, celle de Canterbury mettait fin en 2014 à un millénaire monopole masculin. Et depuis l’an dernier, un nouveau cap de mixité a été franchi, ébranlant au passage un partenariat demi-séculaire avec la St Edmund’s School, et en instituant la parité des services, distribués entre boy choristers (8-13 ans) et des adolescentes de l’autre sexe (12-18 ans). Fières de cette révolution, les Girl Choristers of Canterbury Cathedral enregistrèrent pour Decca un premier album en 2017, voué à de populaires Carols et Christmas Songs. Même si on pût préférer la candeur de voix enfantines dans le Rejoyce in the Lord, conformément à la circonstance historique que connut Pepusch, les demoiselles dirigées par David Newsholme se distinguent par une remarquable prestation. Bref, tous les ingrédients sont réunis pour faire de ce CD une magnifique invitation à découvrir la séduisante musique sacrée de celui que la postérité retient comme influent pédagogue et arrangeur du corrosif Beggar’s Opera (1728), dont la satire sociale des bas-fonds nous situe loin des Chandos Anthems et de leurs encens pollinisés depuis les anthères vénitiennes.
Son : 9 – Livret : 9 – Répertoire : 9 – Interprétation : 10
Christophe Steyne