Magnifique conclusion du cycle Schubert de Paul Lewis à Flagey

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Pour clôturer en beauté et en toute logique son cycle de Sonates de Schubert étalé sur deux saisons, le pianiste britannique avait choisi de mettre au programme de ce quatrième et dernier récital les trois dernières Sonates du compositeur, toutes composées en 1828, année de la mort du compositeur viennois. 

Oeuvres de vastes dimensions, ces trois sonates -qui dépassent toutes la demi-heure- ont de quoi intimider plus d’un pianiste par leurs exigences techniques mais, plus encore, par l’implication totale exigée d’interprètes à qui l’on demande à la fois le type de maîtrise technique qui doit savoir se faire oublier et un alliage d’intelligence de la forme et de sensibilité peu communs.

C’est par la Sonate n°19 en ré mineur, D. 958, sans doute la moins jouée de ce triptyque, que Paul Lewis entame son récital. 

Jouant bien au fond du clavier, Paul Lewis attaque l’Allegro initial avec une belle franchise. Il sait à la fois se montrer impétueux sans brutalité et tendre sans mièvrerie. Tout comme Alfred Brendel dont il fut l’élève, il ne cherche pas à séduire et ce jeu invariablement sincère et droit a aussi quelque chose d’un peu austère, y compris dans une sonorité parfois peu charmeuse. Concluant le premier mouvement sur une coda désolée, Paul Lewis fait entendre un Adagio poignant, inquiet et n’offrant aucune consolation avant de saisir à la perfection l’ambiguïté et la gaieté forcée d’un Menuetto de prime abord si innocent. Il offre ensuite une version remarquable de l’Allegro final, cette curieuse tarentelle aux tournures toujours surprenantes et aux inattendues ruptures de ton débouchant sur ces merveilleux épisodes qui sont comme autant de rêves éveillés.

Paul Lewis aborde la Sonate n°20 en la majeur, D.959 -certainement la plus ouvertement tragique et sombre des trois dernières- en saisissant pleinement la carrure beethovénienne de l’Allegro introductif qu’il interprète avec une simplicité et un dépouillement par moments déchirants, faisant à juste titre primer la vérité sur la beauté. On appréciera aussi la façon dont il réussit à finement nimber les figures récurrentes en arpèges d’un subtil halo de pédale. Sommet de cette interprétation, l’Andantino à la fois consolant et glaçant transperce proprement le coeur alors que l’extraordinaire partie centrale aux rapides motifs de gammes et à la désarçonnante instabilité tonale est rendue ici avec une intensité presque insoutenable. Après ce sommet d’émotion, le Scherzo -joué avec beaucoup de fraîcheur par le pianiste- ose un sourire pour une fois sans arrières-pensées, avant que la Sonate ne se conclue sur ce Rondo où rien ne peut assombrir l’irrépressible élan d’une musique où la vie triomphe enfin. 

Après un entracte aussi bienvenu pour le pianiste dont l’endurance physique et l’inébranlable concentration semblent à peine affectées par ces 70 minutes sur scène que pour le public emporté dans l’émotion de la musique, Paul Lewis revient sur scène pour interpréter l’ultime Sonate pour piano de Schubert, la D. 960 en si bémol majeur. 

Il faut ici féliciter l’interprète qui, plutôt que de s’encombrer d’un certaine tradition qui y voit un tragique adieu à la vie du compositeur, s’en tient exactement  -et avec quel bonheur- à ce que dit la partition qu’il aborde avec un naturel et une simplicité qui rappellent beaucoup ce que faisait en son temps un Wilhelm Kempff. 

Paul Lewis trouve d’emblée le tempo giusto dans le Molto moderato initial où, sans s’embarrasser de métaphysique, il va résolument de l’avant, laissant respirer la musique naturellement tout en se montrant sensible aux harmonies douces-amères de Schubert et déployant à présent une beauté de son qui ne semblait pas prioritaire jusque là. L’Andante sostenuto n’a rien de tragique ou glacé, mais coule de source, chanté avec une merveilleuse simplicité. Après avoir déployé un son à présent lumineux dans un Scherzo à la délicieuse insouciance, le pianiste aborde le refrain de l’Allegro ma non troppo final en forme de rondo avec une joie sans exubérance, tout en faisant très bien ressortir le caractère dramatique et tempétueux, proprement beethovénien, de l’épisode central avant de revenir à la légèreté du refrain. On admire ici le sens de la mesure d’un interprète qui laisse parler la musique pour elle-même, ne se sentant pas obligé d’extraire la dernière goutte d’émotion de celle-ci. 

Cette magnifique interprétation est accueillie avec enthousiasme par un public conquis. Et comment reprocher au pianiste de ne pas accorder de bis après une interprétation si prenante de cette série de chefs-d’oeuvre ?

Bruxelles, Flagey, 24 septembre 2024.

Crédits photographiques : Johan Jacobs

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