Révolution et émotion

par

Jules MASSENET
(1842-1912)
Thérèse, drame musical en 2 actes

Nora GUBISCH (Thérèse), Charles CASTRONOVO (Armand), Etienne DUPUIS (André), François LIS (Morel), solistes, Choeur et Orchestre Opéra National Montpellier Languedoc-Roussillon, dir.: Alain Altinoglu
2013-69’ 40’’-DDD-Textes de présentation en français et en anglais-chanté en français-Palazzetto Bru Zane ES1011

Troisième enregistrement officiel de Thérèse déjà (sans compter une 4e confidentielle) ! En 1974, le grand Richard Bonynge avait révélé ce petit opéra, créé à Monte-Carlo en 1907 (Decca), puis Gerd Albrecht en avait enregistré une nouvelle version chez Orfeo en 1996. Succès donc pour cette oeuvre douce-amère, oscillant entre romantisme et naturalisme. Certes, elle s’inscrit dans le sillage de Sapho ou de La Navarraise, par son caractère concis et réaliste. Mais elle possède une aura poétique unique, que les deux autres auront moins. Le livret de Jules Claretie est beau : Thérèse, épouse du Girondin André Thorel, a aimé, dans sa jeunesse, Armand de Clerval, ancien châtelain du domaine dont son mari fut intendant. Armand revient inopinément et André lui offre l’hospitalité en sa propre demeure. La Terreur révolutionnaire arrivant, André offre à Armand un sauf-conduit. Thérèse hésite, prête à le suivre, mais on annonce que son mari est arrêté. Elle laisse partir son amant, crie “Vive le Roi” et rejoint son époux vers la guillotine. Beau sujet dramatique, magistralement traité par Massenet. L’instant le plus émouvant se situe à l’acte I, lorsque Thérèse et Armand se retrouvent, à l’automne, dans le jardin du château. Ils se sont aimés, mais… s’aiment-ils encore ? Oui, sans doute… Les mélodies enveloppantes de Massenet, auréolées d’un clavecin lointain évoquant les jours heureux, créent une atmosphère unique de beauté absolue, inspiration merveilleuse du compositeur : un très grand moment. Le prélude de l’acte II reprend au demeurant le thème du menuet du clavecin, comme pour prolonger ces quelques instants de bonheur miraculeux… Dans le dernier duo, passionné, Massenet se montre grand connaisseur de l’âme humaine et dépeint les ultimes atermoiements sentimentaux de son héroïne : du grand art musical certes, humain surtout. Dans une étonnante scène finale parlée, Thérèse, éperdue, se ressaisit et se précipite vers son destin en courant vers l’époux qu’elle aime tant (aussi?). Cet opéra est vraiment riche. Comment départager les trois versions ? Bonynge est opulent, comme à son habitude : il n’a pas redécouvert Le Roi de Lahore ou Esclarmonde pour rien. En outre, il bénéficie du vibrato généreux d’Huguette Tourangeau. Albrecht, lui, joue la carte vériste avec une Agnès Baltsa moins séduisante au niveau vocal mais tragique à souhait. Araiza et Fortune l’entourent moins bien que Ryland Davies et Louis Quilico chez Bonynge. La présente version réussit sans doute l’impossible : Nora Gubisch, Thérèse totalement impliquée et vocalement imparable, et un Armand tendre et héroïque avec Castronovo, le ténor français qui monte. Etienne Dupuis chante dignement le rôle d’André Thorel, mais doit s’incliner devant la noblesse de Quilico. Alain Altinoglu, autre astre ascendant du monde lyrique français, électrise ses musiciens tout en maintenant une sobriété bienvenue. Malgré les qualités remarquables des deux autres enregistrements, l’engagement fascinant des interprètes de cette dernière version l’emporte : c’est celle qu’il faudra dorénavant écouter pour entendre la plus fidèle interprétation de l’un des opéras les plus touchants de Massenet. Production et livret impeccable du Palazzetto Bru Zane.
Bruno Peeters

Son 10 - Livret 10 - Répertoire 9 - Interprétation 10

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