Sans aucun filtre : la Forza del destino à Liège

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La Forza del Destino, telle qu’elle est représentée à l’Opéra de Liège en ouverture de la saison, est typique d’une certaine façon d’entretenir la pérennité d’un genre qui ne cesse d’exalter ses spectateurs. Une intrigue (plutôt) compliquée, des personnages déchirés, des airs fastueux dans le bonheur ou le désespoir, un chef attentif et précis, une discrétion scénique sans filtre qui laisse toute leur place aux voix.

C’est en 1862, à Saint-Pétersbourg, et en 1869, à Milan, enrichie alors de sa fameuse ouverture, que l’œuvre est successivement créée. Elle a ému, elle a exalté, elle ne cesse d’émouvoir, elle ne cesse d’exalter. C’est qu’elle porte bien son titre : ce qui est à l’œuvre là, et dans toute sa force, c’est le destin, fatal évidemment. On ne cesse de le répéter d’ailleurs, j’ai vite abandonné de compter le nombre de fois où les personnages en soulignent la présence et les effets dévastateurs.

Don Alvaro et Donna Leonora de Vargas s’aiment d’un amour contrarié, ils veulent s’enfuir. Surgit le père de Leonora. Un geste malheureux d’Alvaro, un coup de feu accidentel, le père est mortellement touché. De quoi susciter un désir irrépressible de vengeance chez Don Carlo di Vargas, le frère de Leonora. Une vendetta dont les épisodes emmèneront le spectateur dans une auberge, un couvent, une église, un champ de bataille, un camp militaire, le couvent de nouveau et une grotte d’ermite. La complexité de l’intrigue prouve à merveille que le destin ne se fatigue jamais ! De plus, contrairement à d’autres opéras de Verdi, comme Otello par exemple, l’intrigue ne se concentre pas uniquement sur ses héros, elle accorde pas mal de place à des personnages annexes : le Père Guardiano, l’imposant supérieur du couvent, Fra Melitone, un moine jaloux et drôlement colérique, Preziosilla, une bohémienne à la Carmen, Trabuco, un muletier affairiste. Ils ont leurs moments. En fait, ils sont une façon -shakespearienne- pour Verdi et son librettiste d’aérer leur terrible propos, de le ramener « au niveau du sol », avant de lui rendre toute son intensité. 

Et tous ces personnages, nous les entendons sans aucun filtre. C’est-à-dire que la mise en scène -imaginée par le regretté Stefano Mazzonis di Pralafera et concrétisée par Gianni Santucci- ne se risque pas à faire voir et saisir des arrière-plans psychologiques, politiques, sociaux, esthétiques. Focalisée sur le déferlement des passions et les notes qui les multiplient, elle est simplement illustrative, à part le fait de déplacer l’action à l’époque de la Première Guerre mondiale. Les chanteurs se retrouvent face au public pour donner à vivre au mieux les airs superbes de Verdi. Ils ne déçoivent pas.

Renato Palumbo, le chef d’orchestre, prouve dès l’ouverture combien il connaît « son » Verdi. Il en a une lecture en « lignes claires » qui fait bien apparaître dans les notes initiales les séquences qu’elles animeront par la suite. Renato Palumbo établit un bel équilibre entre la fosse -un orchestre de l’Opéra de Liège attentif et précis- et le plateau. Maria José Siri-Leonora réussit le paradoxe de réjouir le public liégeois dans l’exposé de sa triste destinée, habitant et nuançant les expressions de son beau personnage. Marcello Álvarez-Alvaro a les élans de son héros, notamment quand chez celui-ci, le désir de sérénité apaisée ne peut résister aux poussées de l’honneur menacé ou de la colère. Simone Piazzola-Carlo a toute l’énergie brute de celui qui n’est plus que vendetta. Michele Pertusi impose sa force sereine en Père Guardiano. Enrico Marabelli est un Fra Melitone aux beaux accents drolatiques de personnage shakespearien en contraste. Quant à Nino Surguladze-Preziosilla, elle est effectivement très Carmen. Notons aussi les beaux moments de Maxime Melnik en Trabuco, d’Alexei Gorbatchev en Marchese di Calatrava et d’Angélique Noldus en Curra. Le chœur occupe au mieux la belle place que lui a réservée le compositeur.

Quel bonheur aussi de se retrouver, les uns à côté des autres, dans une salle où -après avoir montré patte blanche-Certificat Covid- on peut ôter les masques ! Le bonheur des spectateurs était bien visible !

Stéphane Gilbart

Opéra Royal de Wallonie-Liège, le 28 septembre 2021

 

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