Sauvés par la musique et les chanteurs

par

© Jean-Louis Fernandez

Dialogues des Carmélites à Lyon
« Il est préferable quelle n’en croie pas d’abord ses yeux ni ses oreilles ». Cette phrase de la Nouvelle Prieure des Carmélites pourrait être une recommandation au public qui assiste à la nouvelle production de « Dialogues des Carmélites » à l’Opéra de Lyon.
Ses yeux, confrontés à la mise en scène très discutable de Christophe Honoré dans le décor d’Alban Ho Van et les costumes de Thibault Vancraenenbroeck. Ses yeux et ses oreilles devant une action scénique constamment en contradiction avec le texte de Bernanos. Cela tourne au ridicule quand un commissaire (de quel régime?) bardé de brassards tricolores demande à la Prieure « Etes-vous donc si pressées de quitter ces défroques et de vous habiller comme tout le monde ? ». Ridicule puisque les religieuses portent déjà tout le temps des vêtements ordinaires. Mais ce n’est qu’un exemple des contradictions constantes dans cette mise en scène qui situe l’action vers milieu du 20e siècle, dans un décor unique qui rappelle les intérieurs tristes et sordides d’Anna Viebrock. Cette vaste salle aux murs de boiseries monotones percés d'une grande fenêtre avec vue sur Paris ne sert pas seulement de cloître(?), elle semble être aussi la bibliothèque du Marquis de la Force. Quoique l’espace soit occupé par un grand lit où le marquis est découvert par son fils dans les bras de sa jeune maîtresse, seins nus, illustrant sans doute sa réplique « la visite de Monsieur votre oncle m’a fait manquer ma méridienne et je m’étais toute à l’heure un peu assoupi » ! En plus toute cette première scène se passe devant une foule muette. Comprenne qui pourra. L’aumônier annonce déjà à Mère Marie que les sœurs ont été condamnées à mort avant que le geôlier lise la condamnation ; et bien sûr il n’y a pas de guillotine bien que la partition donne le couperet à entendre. Les sœurs se jettent dans le vide mais pas Blanche qui meurt avant d’y arriver. La dernière image est celle d’un groupe de révolutionnaires (qui représentent qui et veulent quoi?) avec, à leur tête, la maîtresse du Marquis de la Force, le poing dressé. La signification ne m'est pas évidente Heureusement, l’ aspect musical posait moins de problèmes grâce à la direction musicale attentive et bien rythmée mais peut- être un peu distante de Kazushi Ono à la tête d’un orchestre en grande forme . La large distribution était généralement d’un très bon niveau. A commencer par Hélène Guilmette (lauréate du Concours Elisabeth en 2004), une Blanche émouvante au soprano clair et expressif, avec une très belle projection du texte. Sœur Constance trouvait une interprète idéale en Sabine Devieilhe, primesautière et enjouée, à la voix ferme mais parfois un peu dure dans l’aigu. Sylvie Brunet-Grupposo donnait l’allure nécessaire à Madame de Croissy, Prieure stricte mais humaine et déchirée. Si Sophie Marin-Degor était une Madame Lidoine scéniquement tout à fait convaincante, elle rencontre plus de problèmes dans la partie vocale qui dépasse ses moyens. Ce n’est pas le cas d’Anaïk Morel (lauréate du Concours Elisabeth en 2011) qui campe une Mère Marie d’une grande autorité scénique et vocale. Sébastien Guèze fait un séduisant Chevalier de la Force avec des accents trop véristes, Laurent Alvaro un Marquis de la Force assez raboteux et Loïc Félix un aumônier suave . Tous les autres rôles sont bien défendus et l’ensemble homogène.
Erna Metdepenninghen
Lyon, Opéra, le 16 octobre 2013

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