Séduisant récital Grand Siècle pincé par Luca Pianca

par

Narcisse au Parnasse. Œuvres d’Ennemond Gauthier “le Vieux” (1575-1651), Pierre Dubut “père” (c1610-1681), Pierre Dubut “fils” (post 1642-c1700), Robert de Visée (1660-1720), Antoine Forqueray (1672-1745), Charles Hurel (fl 1665-1692). Luca Pianca, luth, théorbe. 2022. Livret en anglais, français, italien. 69’35. Passacaille PAS 1145

En octobre 2021, à l’Oratorio di San Rocco a Manno, dans le Tessin, un album intitulé « The Art of Resonance » investiguait le répertoire du Seicento. Quelques mois après, à la faveur du printemps, Luca Pianca revenait au même sanctuaire pour enregistrer cette autre anthologie, consacrée au « Grand Siècle » (au sens large) et à quelques-uns de ses glorieux représentants, depuis « le Vieux » Gauthier jusqu’à Antoine Forqueray. Là encore, nous entendons des instruments (luth, théorbe) sortis des ateliers vaudois du facteur Luc Breton, en 1987 et 1999.

Parmi les sources qui ont guidé son interprétation, l’interprète mentionne Marin Mersenne (1588-1648), érudit en acoustique, selon lequel les basses d’un bon luth seraient censées durer une vingtaine de secondes. En fait, expliquait-il en son constat empirique à la Proposition XVIII de son fameux Traité, « les chordes de trois ou quatre pieds de long de toutes sortes d'instrumens, tremblent sensiblement l'espace de la sixiesme partie d'vne minute d'heure, c'est à dire dix secondes [...] ce temps, dans lequel on oyt aussi le son qu'elle fait, de sorte que l'on ne peut douter qu'elle ne tremble encore bien fort ; i'ay dit du moins, car ie ne doute nullement qu'elle ne tremble l'espace d'vn tiers de minute ». 

Toujours est-il que cette sonorité largement épanouie contribue au profond charme qui se dégage de l’écoute, et auquel le lieu prête sa réverbération. Quitte à ce que les instruments semblent un peu trop gras et grossis pour que l’on perçoive la netteté de l’impact « d’un couteau sur un verre », selon Charles de Lespine (1580-1627), également cité par la note de Luca Pianca. Au théorbe, les pièces sur basse obstinée s’expriment avec davantage de fluidité que de précision (Chaconne et Passacaille de Visée), incorporant une gracieuse ornementation qui ne surcharge pas les lignes. Sur un luth à la tessiture équilibrée, les danses convainquent par leur projection, leur évidence –remarquable série des Dubut, dont une Gavotte admirablement ciselée, une Sarabande exquisément animée.

Les pages de caractère comme la Mascarade (qui s’éteint dans un émouvant dégradé) ou La Lionne de Hurel ne tarissent pas de suggestivité. Imaginés par l’interprète, deux Préludes attestent sa sensibilité et sa sympathie envers le style de l’époque, autant que son arrangement de deux pages de Forqueray. Mise en perspective par un intelligent livret signé de Brenno Boccadoro, cette anthologie présente bien des séductions poétiques, auxquelles ne manqueraient çà et là qu’un traitement plus incisif, ou du moins une perspective sonore plus affutée. Mais l’âme des œuvres est toute là, parle au cœur. Et résonne…

Son : 9 – Livret : 9 – Répertoire : 9 – interprétation : 9

Christophe Steyne

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