Slide Action, l’avenir selon le trombone
RE:BUILD. Henry Purcell (1659-1695); Ryan Latimer (1990-); Jamie Tweed (-); Laura Jurd (1990-); Benny Vernon (-); Emily Hall (1978-); Matthew Locke (1621-1677); Alex Paxton (1990-); Joanna Ward (1998-). Slide Action. 51’17". 2024. Livret: anglais. NMC Recordings. NMC D2989.
Pour ce premier disque à lui consacré, le quatuor de trombones anglais Slide Action, créé en 2018 pour impulser un nouveau souffle à l’instrument, passe commande auprès de cinq compositeurs compatriotes, pièces entre lesquelles il propose des partitions propres ou des arrangements d’airs extirpés du patrimoine : l’idée est celle du changement de décors entre les actes d’une pièce de théâtre, où un élément (ici un thème, une hauteur, un fragment…) fait le lien entre ce qui précède et ce qui suit.
L’album s’ouvre sur l’imposant (et familier) March, Music for the Funeral of Queen Mary d’Henry Purcell, porte-drapeau du baroque anglais, qu’il parsème de prises aux styles italien et français, à la fois hommage du quatuor à la musique pour cuivres traditionnelle et annonce, par son final estropié, dévié, manipulé par l’électronique, de temps nouveaux. C’est de ce chamboulement de l’ordre qu’est en charge Ryan Latimer : C. Exigua (un sympathique pou marin grignoteur de langue – de poisson), aux reflets scintillants comme ceux des ballons dorés de la fête foraine, aux touches poussées comme autant de larges traits de pinceau à poils rêches sur la toile granuleuse, bouscule la tradition de ses images en mouvement – le compositeur travaille régulièrement avec des chorégraphes.
Dans le premier Interlude (Smooth Place Cool Drink), Jamie Tweed (1/4 du Slide Action) passe à la moulinette un accord (le premier du standard de jazz Here’s That Rainy Day de Jimmy Van Heusen) pour en tirer des lignes mélodiques ; il introduit Swamped, de Laura Jurd, dont l’écriture baigne dans les sonorités du jazz et du folk, qui suit un groove pas aussi régulier qu’il en a l’air et pour lequel l’ensemble resserre le son, transportant l’auditeur dans un espace confiné, à l’éclairage encombré des volutes de cigarettes, blondes mais denses.
Le deuxième Interlude, cette fois de Benny Vernon (un autre quart du Slide Action), titré Sit (« quand le trombone tonne doucement, il faut s’asseoir sur sa chaise préférée »), s’enroule, dans une atmosphère méditative, autour de la sourdine Harmon/Wa Wa, une sourdine extensible que l’instrumentiste manipule de légers mouvements de la main afin d’isoler les harmoniques ; et c’est la position assise qui fait le lien avec Close Palms, pour laquelle Emily Hall (elle écrit principalement pour voix et a cinq opéras, aux formes faisant fi des contraintes, derrière elle) fait usage du glissando comme d’un inséminateur de tension, incisive et poisseuse.
Josh Cirtina (le quart de Slide Action déjà responsable du relooking de la Marche de Purcell) arrange, pour le troisième interlude, le Flatt Consort de Matthew Locke, un autre baroque anglais, en une texture pansue dérivant vers le rutilant ; à quoi succède Hairy Pony Estampie de l’irrévérencieux et foisonnant Alex Paxton : ça frétille comme un panier d’anguilles, ça s’éparpille comme une pieuvre contorsionniste – imprévisible ? Par pour ce trou noir de la musique, qui adore concentrer et bourrer à craquer le plus infime espace sonore.
Avec Joanna Ward en clôture du disque, c’est le regard ouvert vers le futur que privilégie Slide Action : Playing Frisbee May 2022 est une partition ludique, graphique, semi-notée, semi-ouverte, où une page est un jeu, aux règles chaque fois différentes – l’idée, c’est d’essayer sans cesse de nouvelles idées, dans une quête incessante de sons nouveaux. Sacrée entreprise !
Son : 8 – Livret : 8 – Répertoire : 8 – Interprétation : 8
Chronique réalisée sur base de l'édition digitale.
Bernard Vincken