Superbe Récital d’orgue à Notre Dame de Paris par Thibault Fajoles

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Depuis son éveil en présence des puissants de ce monde, le 7 décembre dernier, l’orgue, tel un ours endormi, s’ébroue hors de sa tanière et le calendrier des concerts sacrés s’enrichit chaque jour de nouvelles propositions. Sans avoir souffert directement des flammes, le titan démonté, nettoyé puis accordé et ré-harmonisé, va néanmoins nécessiter encore de nombreux réglages. Il requiert également une approche prudente. En effet, les 8000 tuyaux du Cavaillé-Coll, inauguré en 1868, déployés sur 13 mètres de haut sont l’aboutissement de plusieurs siècles de perfectionnements incessants. Si la présence d’un orgue est attestée dès 1160 et que la trace de ses différents états (jeux datés des XVIIe et XVIIIe siècle notamment) a été conservée, les aménagements en particulier électroniques comme les évolutions du goût ont engendré un instrument inconnu. Sa complexité et son gigantisme ne se laissent pas apprivoiser si facilement. Les critères esthétiques et liturgiques actuels peuvent par ailleurs entrer en contradiction avec les équilibres sonores et architecturaux existants au risque de cabrer l’auditoire. 

A cet égard le récital de Thibault Fajoles s’est révélé aussi passionnant qu’instructif  à la fois par son jeu, son programme et surtout la synergie qu’il parvient à instaurer avec le public. Dès ses 13 ans, le jeune musicien défie le vertige des tribunes ; aujourd’hui, il vient d’ accéder  à celle de Notre Dame de Paris à l’âge de 22 ans!

Pour ce premier récital soliste sous les voûtes de la cathédrale restaurée, l’intégrité, l’exigence, la précision de son approche impressionnent. Les gestes sont sobres, souples et les bras voltigent sans fièvre. La maîtrise des plans sonores se fait naturellement lui permettant de dégager les structures changeantes, parfois massives, des quatre premières pièces de Louis Vierne (Marche harmonique de l’ Hymne au soleil par exemple). 

L’hommage rendu à ce grand  prédécesseur (1870-1937) laisse percevoir une certaine latence du son, toutefois contenue par la rigueur des lignes. Par ailleurs, la fragmentation mélodique répond au goût d’une époque aussi désireuse de s’écarter du wagnérisme que de l’académisme. Il en résulte une sensation d’incertitude flottante assez poétique.

La grâce des Feux follets se fait plus nerveuse que dansante. Il en sera de même dans les variations finales de Franz Liszt sur Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen  de Bach transcrites par Marcel Dupré. Ce joyau, où alternent sonneries en rafales, aigus éthérés et même clinquants, semble piaffer à l’étroit puis se cabre avant de courber l’encolure. La main est ferme, le gant de velours. 

Implacables, les Funérailles (extraites des « Harmonies poétiques et religieuses » dans la transcription de Louis Robilliard) joignent détermination et délicatesse. L’écriture pianistique voulue par le compositeur comme l’inertie acoustique précitée rendent parfois le discours musical moins lisible pour l’auditoire. D’autant que l’annonce orale du programme a interverti l’ordre des œuvres !

Deux sommets, enfin, dans cette heure et quart de musique : le premier déployant le fabuleux potentiel de l’orgue grâce au génie de César Franck (1822-1890), le second en bis, révélant le tempérament artistique d’un interprète qui parvient à transcender contraintes et carcans pour exprimer librement son ardeur, sa jubilation.  

Première révélation : Le « Pater Seraphicus » - surnom donné à César Franck par ses élèves et admirateurs- semble avoir composé directement pour la cathédrale d’aujourd’hui. En effet, la Fantaisie en la majeur (Andantino) extraite des Trois pièces pour grand orgue FWV 35-37  habite et épouse naturellement les volumes et les voûtes ; les amples développements s’entrelacent ; les mixtures sereines, les rythmes calmes avancent à grandes enjambées, bercent et caressent la lumière blonde des pierres jusqu’aux moindres recoins des travées latérales. L’organiste fait enfin ronfler les graves avec majesté pour conclure sur une belle cadence qui emporte avec elle les applaudissements surpris, conquis, émerveillés. Une telle expérience oriente évidemment le choix des répertoires futurs par son adéquation parfaite entre l'interprète, l'instrument, le lieu et l’assistance. 

Seconde révélation : le déferlement final de jeunesse et de joie. D’une spontanéité quasi franciscaine, la dynamique, rutilante et variée du bis offert par l’ organiste rejoignait en effet cette dimension de louange épurée et exubérante caractéristique des Bach, Mozart et plus près de nous, Jehan Alain parmi beaucoup d’autres. Registrations inventives dévoilant un potentiel sonore ignoré, osmose idéale avec une assistance reconnaissante et ravie... loin d’une conclusion - un instant d’éternité grâce aux savoirs et dons humains confondus- où  la mystérieuse beauté qui rayonne en ces lieux depuis le douzième siècle, se fait présence.

Paris, Cathédrale Notre-Dame, 25 février 2025

Bénédicte Palaux Simonnet   

Crédits photographiques : DR

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