Sonates et Concertos pour violon de Leclair : deux nouvelles parutions, d’un délicat dessin

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Jean-Marie Leclair (1697-1764) : Sonate en sol mineur Op. 2 no 12. Sonates en si bémol majeur, do majeur et sol majeur Op. 5 no 4, 10, 12. Sonate en la mineur Op. 9 no 5. David Plantier, violon. Les Plaisirs du Parnasse. Annabelle Luis, violoncelle. Violaine Cochard, clavecin. Ludovic Coutineau, contrebasse. Livret en anglais et français. Avril 2021. TT 76’40. Ricercar RIC 431

Jean-Marie Leclair (1697-1764) : Concertos en fa majeur et en la mineur Op. 7 no 4 & 5 ; Concertos en fa majeur et en mi mineur Op. 10 no 4 & 5. Leila Schayegh, violon. La Cetra Barockorchester Basel. Eva Saladin, premier violon. Christoph Rudolf, violon second. Somoko Asabuki, Coline Ormond, Petra Csaplarova, Cecilie Valtrova, violon. Germán Echeverri, Johannes Frisch, alto. Jonathan Pešek, Nicola Paoli, violoncelle. Fred Uhlig, violone. Sebastian Wienand, clavecin. Livret en anglais, français, allemand. Juin 2020. TT 62’04. Glossa GCD 924206

En 1764, la musique française perdait non seulement Rameau mais aussi Jean-Marie Leclair, assassiné dans d’interlopes circonstances en des quartiers mal famés où il avait élu domicile. Triste fin pour un des grands représentants de l’école française de violon, influencé par la manière italienne sans se renier, comme le rappellent les vers de Séré de Rieux (1668-1747) cités dans le livret : « Leclair est le premier qui sans imiter rien, Créa du beau, du neuf, qu’il peut dire le sien ». Outre son opéra Scylla et Glaucus, et sa fondamentale collection de douze concertos, on lui doit quatre livres de douze Sonates échelonnés sur une vingtaine d’années, fort prisées à l’époque, malgré leur difficulté technique, notamment l’usage des double-cordes.

Le programme emprunte une sonate du Livre II, trois du Livre III, le plus équilibré, et une du dernier Livre, le plus expérimental, novateur. On apprécie les options stylistiques de David Plantier : juste tempi dénués d’exubérance pour les allegros (quelle souplesse dans l’opus 5 no 10 !), ornementation parcimonieuse, appui de la contrebasse pour quelques pages dramatiques et pour garantir le rebond de la danse (Tambourin de la dixième Sonate du Livre III). Pour situer la prestation soliste face à deux références discographiques, elle relève plutôt des délicates saveurs de Simon Standage (Chandos) que de l’extraversion plus latine d’Elizabeth Wallfisch (Hyperion).

On espère que David Plantier, épaulé par son équipe qui partage les mêmes vues de finesse, revienne bientôt explorer les pépites du Livre IV, déjà brillamment visité par Luis Otavio Santos (Ramée) et Patrick Bismuth (Zig Zag) : sa frémissante lecture de l’Adagio liminaire de l’opus 9 no 5, tout en nuances, d’un cantabile raffiné, les orages contenus de l’allegro assai, la pudeur de l’adagio révèlent une interprétation profonde, exquisément phrasée, d’une idéale longueur de souffle. La sonorité du Guadagnini séduit inlassablement, sans la moindre emphase, patiné d’essences précieuses. Ni hâte ni langueurs suspectes, l’archet dessine avec un goût ennemi du spectacle et des excès, fixe les parfums plutôt qu’il ne les libère, muselant ainsi les arômes trop capiteux. Certains gâte-sauces estimeront peut-être le résultat trop uniforme ou modéré ; on peut surtout saluer en ce CD un portrait digne de l’hommage posthume paru dans Le Mercure de France : « mâle, élégant, tendre et toujours parfait ».

Leila Schayegh boucle avec ce troisième volume son intégrale des douze concertos, rassemblés dans les deux recueils qui datent respectivement du séjour aux Pays-Bas (opus 7) puis du retour à Paris (opus 10 dédié à Philippe Ier de Parme, beau-fils du souverain). Avec Jörg Halubek au clavecin, la violoniste s’était déjà distinguée voilà dix ans dans un remarquable album (Pan Classics) qui confrontait Leclair avec quelques virtuoses rivaux de la Cour de Louis XV (Jean-Pierre Guignon, Louis-Gabriel Guillemain...). Elle fréquente les concertos de Leclair depuis ses années d’études, ce qui explique la connivence avec des partitions qu’elle semble connaître par cœur et restitue avec un naturel désarmant de sérénité.

« Tout est soigné : la technique, la musicalité, le sentiment poétique, la vitalité, la rêverie, la joie comme la mélancolie » s’enthousiasmait Jean Lacroix dans nos colonnes du 20 janvier 2020, au sujet du précédent volume. Même si depuis le premier, l’équipe forgée à la Schola Cantorum Basiliensis s’est remodelée (Johannes Keller remplacé au clavier par Sebastian Wienand), les options n’ont pas varié : moelleux accompagnement de cordes en boyau, diapason à 408. Sans trahir les gageures d’exécution, le style se refuse à l’ostentation, le Guarneri chante à l’envi même dans les passages démonstratifs, virevolte sans entrave (l’Allegro moderato de l’opus 7 no 4), ailé par une ductilité infinie. Le théâtre n’est certes pas au menu de cette interprétation toute de tact : par exemple, le finale de l’opus 7 no 5 ne saurait concurrencer l’irrésistible alacrité de Jaap Schroeder et son Concert Amsterdam (Telefunken, 1979).

Lors d’une célèbre rencontre avec Pietro Locatelli en 1728, l’assistance de ce duel estima que le Bergamasque avait joué comme le diable et Leclair comme un ange : par ses vertus de sobriété et raffinement, sa bienveillante chaleur, Leila Schayegh nous offre un paradis de bonté qui rappelle l’aimable et filant archet de Gérard Jarry (Erato, 1977-1978). Étant dit que l’orchestre rigide et monochrome de Jean-François Paillard ne se compare en rien au souple et scintillant écrin du présent cénacle bâlois. Cette proposition désormais achevée peut se considérer comme une digne alternative à l’intégrale de Simon Standage (Chandos) que nous admirons depuis trois décennies et qui peut accueillir ce nouveau voisin au Parnasse.

Ricercar : Son : 8 – Livret : 9 – Répertoire : 9-10 – Interprétation : 9,5

Glossa : Son : 8 – Livret : 9 – Répertoire : 9-10 – Interprétation : 9,5

Christophe Steyne

 

 

 

 

 

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