Sonates pour clavier de Marcello : premier enregistrement complet d’après les manuscrits vénitiens
Benedetto Marcello (1686-1739) : intégrale des sonates pour clavier, vol 1 Biblioteca Nazionale Marciana. Ottavio Dantone, clavecin. Février 2019. Livret en italien anglais. TT 132’29. Concerto Classics 2119
Avec ce double-album, l’éditeur annonce une intégrale des Sonates pour clavier de ce gentilhomme vénitien qui a laissé son nom au conservatoire de musique de la cité. On pourra alors la confronter à l’intégrale enregistrée chez Brilliant (2017-2018) par Chiara Minali et Laura Farabollini et, pour le seul opus 3, au témoignage de Roberto Loreggian (Chandos, 2001) paru en première mondiale.
Au travers les diverses copies qui circulèrent de ces Sonates (la musicologie moderne suppose qu’à l’époque elles ne furent jamais imprimées) se pose la question de l’authenticité et de la cohérence. À moins, comme Ottavio Dantone, de se référer directement au manuscrit archivé à la Biblioteca Nazionale Marciana, sous cote It. IV n.960 (10743). Non un autographe, mais un document des plus fiables et autorisés, comme en attestent le lieu même de sa conservation, la page titre, le soin apporté à sa reliure. Le programme inclut neuf des dix sonates de cette collection, ainsi que sa Chiacona. La SuonataX et le Laberinto sont prévus au prochain volume. Pour la quatrième sonate, l’interprète a adjoint quelques extraits du manuscrit de Berlin (Staatsbibliothek).
Le livret, plutôt bavard, s’attache à la biographie du compositeur et aux lieux qu’il fréquenta en sa ville natale, tout cela élégamment raconté. Pour un tel projet, on aurait toutefois aimé une mise en perspective du langage musical de ces œuvres, laconiquement évoqué. La plupart épousent une forme quadripartite, introduite par un Largo ou un Andante (sauf la septième). Malgré la notoriété dont jouissait le Patrizio Veneto et l’ampleur de son catalogue (beaucoup de sa musique sacrée reste à exhumer et enregistrer), ses pages pour clavier accumulent les jolies tournures sans convaincre de leur génie. Gammes, arpèges, effets imitatifs, écho aux deux mains, bariolages : tout cela est agréable, remplit les portées, préfigure le style galant, mais s’avère répétitif et guère captivant. Heureusement, Ottavio Dantone a opté pour des tempos vifs et les signatures rythmiques qui s’imposent (le chiffrage fait défaut dans le recueil). Ces choix judicieux optimisent l’animation du texte et le plaisir qui en découle. Le clavecin, copie d’un Johannes Ruckers (Anvers 1638) par William Horn, s’épanouit dans l’église Sant’Antonio Abate de Milan. Spectre équilibré, image bien proportionnée, permettent le jeu brillant et virtuose qui transfigure toutes ces pièces. Légitimité des sources, instrument, prise de son, interprétation : on ne saurait rêver meilleur guide pour nous accompagner dans la redécouverte de ce pan méconnu du répertoire de clavecin baroque nord-italien.
Son : 9 – Livret : 9 – Répertoire : 8 – Interprétation : 10
Christophe Steyne