Joseph Moog fait souffler un vent de fraîcheur sur le Premier concerto de Brahms

par

Johannes Brahms (1833-1897)concerto pour piano et orchestre  n°1 en ré mineur, Op. 15, Klavierstücke Op. 119,  Joseph Moog (piano), Deutsche Radio Philharmonie, Nicholas Milton (direction).2020-DDD- 62’12 -Textes de présentation en anglais et allemand-Onyx 4214

Voici une version du Premier concerto de Brahms qui prend résolument le contrepied de l’approche traditionnelle qui y voit -surtout dans le Maestoso initial- la lutte héroïque d’un soliste prométhéen affrontant les terribles forces cosmiques incarnées par un orchestre déchaîné.

Ici, après une introduction menée avec fermeté et beaucoup de soin dans les détails par le chef Nicholas Milton à la tête d’un orchestre volontaire sans être luxueux (ce n’est pas un reproche), Joseph Moog opte dès le début pour une vision résolument classique qui étonnera sans doute beaucoup ceux qui ont été nourris à l’énergie cinglante d’un Serkin, à la noblesse d’un Rubinstein ou à la profondeur de pensée comme de sonorité de la légendaire version Gilels/Jochum. On ne trouvera pas ici de romantisme sombre et grandiose, car le jeune pianiste allemand adopte une approche délicate, claire, résolument classique (cela ne fera que se confirmer par la suite) qu’il défend avec beaucoup d’allant et de naturel. Tout au long de l’œuvre, on apprécie sa technique irréprochable, sa sonorité soignée et toujours maîtrisée, le naturel de ses phrasés, ainsi qu’une absence totale de maniérismes. Tout ceci en parfaite complicité avec un chef qui évite toute fausse grandiloquence et se montre toujours sensible à l’élément dansant de la musique. 

Le lunaire mouvement lent est abordé par Moog avec poésie, simplicité, dépouillement, pudeur et sérénité. Il n’y a ici aucun étalage de sentiments mais un lyrisme fin et sensible qui tire par moments un peu la musique vers Chopin. Le chef et l’orchestre sont une fois encore parfaitement à l’écoute de leur soliste -cette qualité d’écoute réciproque est d’ailleurs l’un des atouts de cet enregistrement- et on note de beaux solos de clarinette.

Après l’ineffable poésie de l’Adagio, les interprètes saisissent à pleines mains le moment de détente qu’offre le Rondo final. Le soliste fait preuve ici -comme dans le premier mouvement- d’une aisance désarmante et heureusement sans superficialité, comme d’un irrésistible élan rythmique et d’une sonorité très soignée. La coopération avec le chef -qui obtient à nouveau de belles choses de l’orchestre, manifestement très bien préparé (la clarté et le mordant de l’épisode fugato néo-baroque pour cordes seules sont remarquables)- est à nouveau excellente. 

Si d’autres interprètes -outre les précités, on peut mentionner aussi Zimerman, Freire, Kovacevich ou la remarquable synthèse entre classicisme et romantisme de la version Curzon/Szell— ont su creuser davantage cette musique, cette approche jeune et fière qui refuse résolument de s’engager dans les sentiers battus de la tradition mérite d’être entendue. 

Complément un peu inattendu après le romantisme sombre du concerto, les quatre Klavierstücke, Op. 119 -ultime opus pour piano seul du compositeur- sont également très bien servis par Joseph Moog. Le premier Intermezzo (Op. 119/1) est rendu avec délicatesse et pudeur, le second (Op. 119/2) rend justice « un poco agitato » comme le demande Brahms, mais également plein de charme dans l’andantino grazioso central. Dans le troisième (Op. 119/3), Moog, qui observe avec beaucoup de précision la distinction entre legato et staccato, réussit à couvrir tout l’éventail des émotions du morceau. La Rhapsodie (Op. 119/4) qui conclut le recueil est interprétée de façon (très) énergique et avec une belle souplesse -les redoutables octaves sont abordées sans la moindre crispation- qui fait que la rythmique assez carrée du morceau ne débouche à aucun moment sur la monotonie ou la brutalité. 

Son 10 - Livret 9 - Répertoire 10 - Interprétation 9

Patrice Lieberman

 

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