Sonates pour violon et piano de Weinberg, entre liberté et douleur
Mieczyslaw Weinberg (1919-1996) : Sonates pour violon et piano n° 2 op. 15, n° 5 op. 53 et n° 6 op. 136bis. Michal Kowalczyk, violon ; Dagmara Niedziela et Mateusz Rozek, piano. 2020. Notice en polonais et en anglais. 61.13. Dux 1756.
Le catalogue discographique consacré à Mieczyslaw Weinberg ne cesse de s’étoffer, rendant ainsi justice à ce compositeur majeur trop longtemps relégué dans l’ombre de son ami Chostakovitch. Le label polonais Dux a bien contribué à cette reconnaissance, et il le prouve encore une fois avec cet enregistrement qui propose trois sonates pour violon et piano, étalées sur quatre décennies de créativité musicale.
La Sonate n° 2 a été composée en 1944, un an après l’installation de Weinberg à Moscou, comme le lui suggéra Chostakovitch. On ne rappellera pas ici la biographie de ce compositeur, sauf pour préciser qu’au début de la Seconde Guerre mondiale, il avait fui sa Pologne natale suite à l’invasion allemande pour se réfugier en URSS, alors que le reste de sa famille sera exterminée par les nazis. Il se réfugie d’abord à Minsk, puis à Tachkent quand les armées d’Hitler entrent sur le territoire russe. D’autres drames jalonneront son existence… Les trois mouvements de cette Sonate n° 2, aux mélodies mélancoliques, dont l’ensemble semble s’inspirer de l’écriture de Chostakovitch, baignent dans un climat d’indécision et de variétés de contrastes, avec un violon interrogatif et un piano incisif, quelque peu déclamatoire, et indiquent un créateur à la recherche d’un langage de plus en plus personnel. Le méditatif Lento central semble correspondre à une rêverie intérieure, dont les arabesques du violon dessineraient en même temps un chant lyrique éperdu.
Dix ans plus tard, Weinberg compose sa Sonate n° 5. Période des plus troublées pour lui que cette année 1953 : soupçonné de complicité dans le complot des « blouses blanches », Weinberg est mis en prison pendant près de trois mois avant d’être libéré suite à l’intervention en sa faveur auprès du KGB de Chostakovitch, auquel il dédiera sa partition. Les quatre mouvements, dont les trois derniers sont des allegros, évoquent un sentiment d’optimisme, celui du retour à l’état de liberté. Les contrastes sont marqués, l’archet se lance dans de grandes envolées, dans un contexte très expressif. La ligne mélodique est primordiale dans cet élan vital, comme elle l’était dans la Sonate n° 2, mais ici le chant du violon s’élargit de manière encore plus lyrique, l’Andante initial exposant l’angoisse ressentie, avant de laisser libre cours à un optimisme sans exubérance à travers les allegros, dont la vitalité va croissant.
La Sonate n° 6 en un seul mouvement aurait été retrouvée en 2007 dans les papiers de Weinberg, qui la composa en 1982, époque où il apprit les circonstances dans lesquelles ses parents et sa sœur sont morts dans un camp de travail en 1943. Dédiée à la mémoire de sa mère, cette imploration intime, poignante expression d’un immense chagrin, débute par un solo de violon intensément marqué par une inconsolable désolation. La douleur s’exprime ensuite avec une forte expressivité. On ressent le déchirement qui a habité le compositeur lorsqu’il a écrit cette page épurée.
Les six sonates pour violon et piano de Weinberg ont déjà fait l’objet d’intégrales, notamment celles de Kalinovsky/Goncharova (Naxos) ou de Slawek/Rozanski (Accord)). Le duo Andreas et Stefan Kirpal a gravé pour CPO les cinquième et sixième. Le 15 janvier 2020, nous avions fait écho ici-même aux deux disques d’Agnès Pyka pour Arion, le premier avec Laurent Wagschal pour les trois premières sonates, le second avec Dimitri Vassilakis pour les trois dernières. Dans le présent enregistrement du mois d’août 2020, c’est le violoniste polonais Michal Kowalczyk qui officie ; ses compatriotes Dagmara Niedziela (pour les sonates 2 et 5) et Mateus Rozek (sonate 6) sont ses partenaires. Si la Sonate n°2 exalte une plénitude, les options de Kowalczyk quant aux tempi, lents dans les deux autres partitions, surtout dans la sixième, nous paraissent moins convaincants que chez Agnès Pyka, dont l’intensité du jeu et une dignité engagée dans le déchirement, en particulier dans l’introduction de cet opus 136bis, provoquent une émotion plus forte. Pour cette même sonate, Gidon Kremer a laissé, avec Yulianna Avdeeva (DG), le témoignage de sa proximité avec l’œuvre de Weinberg, dans une version d’une haute tenue émotionnelle.
Son : 8,5. Notice : 7. Répertoire : 10. Interprétation : 7,5
Jean Lacroix