Splendide Voyage d’hiver avec James Rutherford et Eugene Asti

par

Franz Schubert (1797-1828) : Winterreise. James Rutherford, baryton et Eugene Asti, piano. 2021-Livret en anglais, allemand et français- textes en allemand et anglais - Texte  chanté en allemand.  71’45. BIS-2410

Quelques années après leur enregistrement du Schwanengesang, James Rutherford et Eugene Asti se confrontent au cycle ultime de Schubert. Composé à l’origine pour ténor, ce sommet du Lied a connu ses plus belles versions avec des barytons (Fischer-Dieskau toujours inégalé que ce soit avec Alfred Brendel, Jorg Demus ou Gérald Moore au piano) des barytons basses (Hans Hotter), des mezzos (Brigitte Fassbaender, Christa Ludwig) et même des sopranos (Christine Schäfer).

 Né dans le Norfolk, au zénith d’une brillante carrière consacrée en grande partie à Wagner et Richard Strauss, le baryton James Rutherford entre avec simplicité dans la « nuit obscure » du dernier recueil de Schubert, quintessence de l’art du compositeur. Le chanteur ne cherche aucun biais, ne se dérobe pas à l’abîme -au contraire !-, la plénitude d’une voix portée par un souffle rassurant permet d’aller sans cesse de l’avant, de supporter l’angoisse et explorer des accents, des humeurs, des vertiges et des enjeux seulement devinés jusque là.

 Lui répond le piano subtil et suggestif d’Eugène Asti. Avec une grande économie de moyens, ce dernier sait envelopper la voix, installer furtivement un climat, suivre la versatilité des humeurs et, au-delà, rendre perceptibles ces mouvements infimes et intenses qui habitent l’immobilité. Der Lindenbaum illustre cet enchaînement de minuscules changements où la douceur se brise contre les arrêtes du froid pour se téléporter dans le temps puis s’éteindre en nostalgie. Recherche qui culmine évidemment dans la deuxième partie avec les oppositions entre les accents militaires de Mut et la prière des Nebensonnen jusqu’à l’invitation finale du Leiermann, littéralement « l’homme lyre ». Plus tard, les Oiseaux tristes ou le glas du Gibet (Gaspard de la Nuit) témoigneront des recherches de Ravel dans une direction similaire.

Car Schubert ne se réduit pas aux lugubres cris des corneilles, aux grincements de girouette, ni même à la métamorphose de l’angoisse en beauté -l’une des raisons pour lesquelles les interprétations du Winterreise s’avèrent si nombreuses et si intéressantes (on déplore à cet égard la vacuité d’une notice en français sortie directement d’un traducteur automatique).

En effet, si le Lied charnière, Der Wegweiser, et particulièrement ses derniers vers -Eine Strasse muss ich gehen, / Die noch Keiner ging zurück (je dois avancer sur une route où nul ne peut revenir en arrière)- sont souvent associés à la mort physique, ils proposent également d’expérimenter le dénuement inhérent à toute démarche novatrice. C’est la direction -semble-t-il- qu’indique l’approche solide et charpentée de James Rutherford. Son legato homogène comme son timbre soyeux -à pas de loup ou à grandes enjambées (Irrlicht)-, concilie ferveur et caresse, souvenirs de Heuriger (Tausschüng), réminiscences de cantiques et de danses populaires dans une dynamique très naturelle en constante expansion.

Ce Voyage d’Hiver nous entraîne ainsi sous la glace, dans ces lieux secrets où, au-delà du désespoir, de la solitude, de la pétrification du froid, scintillent les multiples et infimes frémissements de la vie. Splendide.

Son : 10 Notice : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Bénédicte Palaux Simonnet

 

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