Sabine Devieilhe survole Bach et Haendel

par

Jean Sébastien Bach (1685-1750) Mein Jesu! Was vor Seelenweh, Mein Herze Schimmt im Blut, Jauchzet Gott in allen Landen. Georg Friedrich Händel (1685-1759) : Extraits de la Brockes’ Passion, Giulio Cesare in Egitto, Il trionfo del Tempo e del Disinganno. Sabine Devieilhe, soprano ; Pygmalion, direction : Raphaël Pichon. 2021- Booklet et textes en anglais, français, allemand. 83’37. Erato  0190296677861


Riche d’une discographie déjà abondante allant de Rameau à Mozart en passant par Massenet et Delibes, applaudie dans les rôles de Lakmé, la Reine de la Nuit ou la Somnambula, la soprano léger Sabine Devieilhe présente ici son nouveau disque. 

Le lieu de l’enregistrement choisi pour son acoustique flatteuse, le Temple protestant du Saint Esprit, renvoie à cette spiritualité particulière de la Réforme au centre de ce programme. La contemplation des souffrances du Christ qui donne au pécheur la mesure de sa Faute et du Pardon fournit le thème du poème de Georg Christian Lehms (1684-1717) Mein Herze Schimmt im Blut (Mon coeur nage dans le sang), de celui qui le précède, Mein Jesu! Was vor Seelenweh (Mon Jésus ! Quelle profonde agonie) choisis par J.S. Bach et de la Brockes’ Passion de Haendel Jésus martyrisé et mourant pour le péché du monde), dernière de ses œuvres en langue allemande, composée vers 1716 sur les poèmes dévots du Hambourgeois Barthold Heinrich Brockes .

Tout d’abord, l’archiluth (Thomas Dunford) jette un rayon de lumière sur «Les affres de l’enfer». Puis les deux cantates Mein Herze Schimmt im Blut et Jauchzet Gott in allen Landen encadrent des extraits de la Brockes’ Passion de Haendel. Au milieu... s’intercalent des pages profanes : deux extraits de Giulio Cesar in Egitto (II, 8 et III, 3) -anticipant la prise de rôle de Cleopatra par Sabine Devieilhe- tandis que Belezza (Il triomfo del Tempo e del Disinganno) rappelle le succès du Festival d’Aix. La Beauté s’y avoue vaincue par Le Temps et La Désillusion. Désillusion qui gagne l’auditeur face à un programme aussi hétéroclite que superbement indifférent au contexte musicologique ou spirituel. Certes, Bach et Haendel sont nés la même année ; certes, le chef Raphaël Pichon s’est déjà illustré dans le répertoire de Bach tandis que son épouse brille avec Haendel à l’Opéra (Alcina)… Est-ce suffisant ?

A cela s’ajoute le décalage entre la gracilité de la voix, captée de très près, la prononciation allemande légèrement affectée et l’expression crue et charnelle des supplices de la Crucifixion. Contraste souligné par les attaques impérieuses de l’orgue -le beau Merklin/ Cavaillé-Coll de 1865 reconstruit par Charles Mutin- et, plus loin, les sonorités charnues des cordes (« Sinfonia » de la cantate Wir müssen durch viel Trübsal). L’intervention du baryton Stéphane Degout (Jésus) étoffe un instant la texture sonore dans le duo Soll mein Kind, mein Lebe sterben (Brockes Passion). Mais cette incarnation d’une mère-enfant reste plus proche de la Crèche que du Golgotha.

En outre, la musicalité et l’habilité technique ne suffisent pas à offrir cette plénitude dont Edith Mathis, Gundula Janowitz, Lucia Popp, Elizabeth Schwarzkopf ou Magdalena Kozenà (interprète poignante de la cantate Mein Herze Schimmt im Blut), pour ne citer qu’elles, ont laissé le souvenir.

Côté profane, si la vélocité et l’aisance des vocalises du « Piangero » (Giulio Cesare in Egitto) comme sa reprise élégamment conduite séduisent, l’ensemble s’étiole dans un « joli » juvénile et évanescent. En revanche les qualités de netteté et de souplesse de l’interprète se révèlent en adéquation avec loratorio Il triomfo del Tempo e del Disinganno. Ouvragé comme un bijou, il nous vaut un ravissant dialogue instrumental et vocal jusqu’à la reprise qui flotte en apesanteur… De son côté, Raphaël Pichon sait faire converser les différents pupitres et solistes de l’ensemble Pygmalion tout en leur insufflant un élan soutenu. D’une qualité indiscutable -captation en particulier- ce disque se révèle toutefois peu personnel, curieusement agencé et « pensé »... sauf pour ceux qui, ignorant le contenu des œuvres, s’imagineront entendre une nouvelle version de la «voix des anges».    

Son 10 – Livret  5 – Répertoire 9 – Interprétation 9

Bénédicte Palaux Simonnet

 

 

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