Stiffelio de Verdi à l’ouverture de la saison de l’Opéra National du Rhin

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Cette année, en France, la mode pour les maisons d’opéra est d’ouvrir la saison avec une œuvre méconnue. L’Opéra du Rhin joue aussi cette carte en proposant Stiffelio de Verdi. Composé en 1850, entre Macbeth (1847) et Luisa Miller (1849) d’un côté, et Rigoletto (1851), Le Trouvère et La Traviata (1853) de l’autre, Stiffelio se place à la charnière de la carrière du compositeur. Francesco Maria Piave tire son livret d’une pièce de théâtre française, Le Pasteur ou l’Evangile et le Foyer d’Eugène Bourgeois et Emile Souvestre, d’après le roman Le Pasteur d’hommes de ce dernier.

Œuvre à une histoire tortueuse

C’est une nouveauté (presque) absolue en France ; l’opéra n’a connu qu’une seule représentation, en 1994, à Reims. Le livret raconte l'histoire d’un pasteur qui, revenu au village après un long voyage, découvre l’infidélité de sa femme. Le drame évolue entre la conscience religieuse, l’honneur familial et les luttes intérieures, dans l’enclos d’une petite communauté protestante. Le choix du sujet était trop osé à l’époque et la censure l'a amputé de nombreux éléments liés à la morale religieuse et familiale, surtout concernant le divorce. Verdi le remanie pour créer une autre version, plus conforme à la censure, qui fut représenté en 1852 à la Fenice de Venise. Mais il finit par détruire les partitions d’orchestre à cause de représentations et d’adaptations non autorisées.
Stiffelio est tombé dans l’oubli depuis longtemps lorsque, un jour en 1962, une copie d’un conducteur est retrouvée à Naples. Puis, en 1992, on découvre des fragments autographes inédits dans les archives des héritiers de Verdi.

Partition passionnante sous la direction de Andrea Sanguineti

L’Opéra du Rhin présente cette version restaurée sous la direction de Andrea Sanguineti, ancien répétiteur aux Jeunes Voix du Rhin. Dans le premier acte, l’histoire avance à toute allure sans trop de détails, et la musique donne l’impression de suivre à peine cette évolution. En conséquence, un certain sentiment de l’indigestion s’installe malgré la facture du compositeur bien confirmée. À partir de l’acte II, la machine verdienne est bien huilée, les airs se succèdent avec une grande puissance dramatique. Parfois, un air d’envergure surgit d’un ensemble assez « banal », ce qui rend la musique à la fois bancale et étonnamment fascinante.
Pour ses débuts à l’Opéra du Rhin en tant que chef d’orchestre, la direction d’Andrea Sanguineti est bien avisée. Outre les grands moments lyriques, il sait mettre en relief les détails qui auraient pu passer inaperçus. Il développe ainsi au fur et à mesure les couleurs orchestrales, pour accentuer encore davantage la force émotionnelle. Grâce à lui, l’Orchestre Symphonique de Mulhouse parvient à s’exprimer avec vigueur, en se surpassant. Le chœur de l’Opéra du Rhin (dont certains membres chantent masqués), homogène, prend bien sa part dans le succès de la représentation.

Stiffelio incarné par un jeune ténor chilien Jonathan Tetelman

La plus grande révélation de cette belle production est le ténor chilien Jonathan Tetelman dans le rôle-titre, même si on l’a déjà entendu à l’Opéra de Lille en Cavaradossi en juin dernier. Un timbre ambré, une projection toute en puissance, une incarnation profonde dans le personnage… Avec sa grande stature qui lui confère une réelle présence scénique, il a tous les atouts pour endosser des rôles-clés de tout un grand répertoire. Si, dès le premier acte, il fait montre d’un magnifique débit vocal, cela s'accentue au fil des scènes et, dans le troisième acte, lorsqu’il demande à Lina, son épouse, de signer l’acte de divorce, son chant est si chargé d’émotion qu’on vit littéralement le drame avec lui.
À ses côtés, la soprano arménienne Hrachuhí Bassénz campe l’épouse tourmentée par le remords et la conscience. Elle change soudain la couleur dans les aigus et son medium plutôt voilé offre un contraste avec la voix brillante de son partenaire. Mais elle a du talent pour l’expression psychologique et c’est bien ce dont on a besoin pour ce personnage rongé par les tourments.

La maison-église dans l’imaginaire de grande prairie américaine

Le metteur en scène Bruno Ravella propose que l’histoire se déroule autour d’une maison-église avec une grande croix sur le fronton. Toute de bois, elle ressemble à une maison-ferme qu’on aurait imaginée dans une prairie américaine, ou une église-chalet dans les montagnes. Hannah Clark signe ces décors ainsi que les costumes sobres qui conviennent tout à fait à cet imaginaire. L’espace intérieur limité (où se jouent la plupart des scènes) semble symboliser les contraintes morales qu’impose la religion alors que, à la fin, la scène du pardon et de la bénédiction offerte par Stiffelio à Lina se passe à l’extérieur, comme libérée de ces contraintes. Les portes destinées aux entrées et sorties des personnages mais aussi pour les cacher ou les laisser entrevoir, participent bien au jeu psychologique.

Grâce à l’Opéra National du Rhin, on a pu découvrir ce chef-d’œuvre dans une production entièrement au service de la partition, un pur Verdi avec toute sa force théâtrale. Espérons que l’œuvre sera reprise par d’autres institutions et figurera à l’affiche de différentes maisons d’opéra pour qu’elle puisse vivre enfin sa propre vie.

Opéra National du Rhin, le 14 octobre 2021

Victoria Okada

Crédits photographiques :  © Klara Beck

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