Atys de Lully à l’Opéra-Comique en 2011 sur DVD ? Une reprise sous forme de conte de fée…

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Jean-Baptiste Lully (1632-1687) : Atys, tragédie en musique en un prologue et cinq actes. Bernard Richter (Atys), Stéphanie d’Oustrac (Cybèle), Emmanuelle De Negri (Sangaride), Nicolas Rivenq (Célénus), Marc Mauillon (Idas), Sophie Daneman (Doris), Jaël Azzaretti (Mélisse), Paul Agnew (Dieu du Sommeil), Cyril Auvity (Morphée), Bernard Deletré (Le Temps/Le Fleuve Sangor) ; Compagnie Fêtes Galantes ; Les Arts Florissants, direction William Christie. 2011. Notice en anglais et en français, synopsis dans les deux langues. Sous-titres en français, en anglais, en allemand, en italien, en japonais et en coréen. 196.00. Deux DVD Naxos 2. 110694-95. Aussi disponible en Blu Ray. 

L’histoire est presque trop belle pour être vraie, et pourtant… Le philanthrope et mécène Ronald Stanton (1928-2016), qui a dû fuir l’Allemagne nazie avec sa mère en 1937 en raison de son origine juive, a trouvé accueil aux Etats-Unis, où il a fondé en 1965 une société de négoce et de distribution, la Transammonia, devenue l’une des entreprises privées les plus prospères de New York. Cet homme cultivé et généreux, de passage à Paris en janvier 1987, assiste avec son épouse à une représentation d’Atys de Lully à l’Opéra-Comique, sous la direction de William Christie, dans le cadre de la célébration du tricentenaire de la disparition du compositeur louis-quatorzien, production qui a suivi la création au Teatro Comunale de Florence en 1986. Pour Stanton, c’est un véritable coup de foudre. Repris en province (Caen, Bordeaux, Versailles), le spectacle est programmé à New York, à la Brooklyn Academy of Music (BAM) en 1989, puis en 1992 ; il ira même jusqu’au Brésil. Le spectacle a tellement fasciné Stanton que son souvenir le poursuit : pour ses quatre-vingts ans et dans le cadre des cent cinquante ans des festivités du BAM, le mécène propose de remonter le spectacle à l’Opéra-Comique et de le financer entièrement. C’est chose faite en mai 2011 ; les caméras sont présentes, les 19 et 21, pour fixer un moment historique, alors que l’écho des représentations de 1987 n’avait fait l’objet que d’un enregistrement studio en un coffret de 3 CD chez Harmonia Mundi, demeuré la référence discographique de l’œuvre. Pour cette reprise inespérée, l’équipe Jean-Marie Villégier, metteur en scène, et William Christie, à la tête des Arts Florissants, a été maintenue, les décors ont été reconstitués, ainsi que les costumes. En toute logique, les effectifs ont changé, à l’exception de Nicolas Rivenq (Célénus) et de Bernard Deletré (Le Temps/Le Fleuve Sangor). Le résultat ? Somptueux, à tous points de vue : émerveillement vocal, orchestral et visuel garanti. 

Créé à Saint-Germain-en-Laye le 5 (ou le 10, les avis divergent) janvier 1677, Atys est le quatrième opéra dû à la collaboration entre Lully et l’auteur dramatique Philippe Quinault (1635-1688). Il va plaire énormément à Louis XIV qui ne manquera pas de s’approprier la fameuse scène du sommeil du héros à l’Acte III et la chantera lui-même à l’une ou l’autre occasion. Le succès est au rendez-vous, l’œuvre est surnommée « l’opéra du roi », et des reprises vont avoir lieu à Paris et dans bien d’autres lieux, Bruxelles y compris, jusqu’au milieu du XVIIIe siècle. Il faut dire que le poète Quinault est ici particulièrement inspiré : son livret est bien écrit, l’intrigue est menée avec un art consommé vers son issue fatale, la double mort de Sangaride et d’Atys, signant ainsi la seule tragédie lyrique du duo formé avec Lully. On lira dans la notice d’Agnès Terrier la somme des moyens mis par le souverain à la disposition du compositeur pour les décors (de Carlo Vigarani), les costumes et la chorégraphie. Quant à l’action, très bien racontée dans la même notice à laquelle on se référera, elle s’inspire d’Ovide et raconte, après un prologue/hommage du Temps et des Heures au Roi Soleil, l’idylle d’Atys avec Sangaride, destinée au roi Célénus, alors qu’elle est éprise du jeune favori du souverain. Le roi se confie à ce dernier en exprimant ses craintes de ne pas être aimé de Sangaride. L’intervention de la déesse Cybèle vient compliquer la situation car elle éprouve une passion dévorante pour Atys, qu’elle veut désigner comme son grand prêtre-sacrificateur. Après bien des péripéties, dont un songe au cours duquel Atys reçoit le conseil de se soumettre aux vœux de Cybèle, Atys résiste et enlève Sangaride. Par l’intermédiaire d’un dieu infernal, la déesse le soumet à un envoûtement. Confondant Sangaride avec un monstre, Atys la tue puis, la raison revenue, se suicide. Cybèle le transformera en un arbre sacré, un pin. 

Sur cette trame, Lully a composé une musique particulièrement séduisante, entre séances de danses festives et dramatisation qui combine les moments de lyrisme amoureux avec les atmosphères de souffrance, le tout convergeant vers les deux sommets que sont la séquence du sommeil citée plus avant, et un final intensément tragique. Les airs s’enchaînent avec une vérité permanente : airs en solo, duos, trios, quatuors, avec en ponctuation des chœurs qui viennent donner de la majesté à l’action. Difficile de résister à une telle partition, d’une force irrésistible et d’une beauté de timbres et de couleurs qui en renforcent la dynamique. Les trois heures passent sans que l’on s’en rende compte, entre empathie pour les amours contrariées, consternation devant les turpitudes provoquées par la jalousie, et réel accablement devant la mort cruelle de Sangaride, puis d’Atys. On ne peut que participer avec une émotion non contenue à cet absolu chef-d’œuvre.

Le spectacle est lui aussi un chef-d’œuvre de théâtralité musicale. Il est conçu dans un décor unique qui est celui de la vaste salle d’un château, avec des murs aux couleurs chaudes, un lieu où les déplacements se font avec facilité. La mise en scène de Jean-Marie Villégier, auquel est associé Christophe Galland, adopte le principe de la grandeur au sein de laquelle une simplicité émerveillée, non sophistiquée, coule de source. La scénographie de Carlo Tommasi, les costumes somptueux de Patrice Cauchetier, qui plongent le spectateur dans un XVIIe siècle idéal(isé), les lumières claires et rayonnantes de Patrick Méeüs, tout concourt à la magie et au bonheur ressenti, complété par une chorégraphie subtilement emballante. La Compagnie Fêtes Galantes et le brillant danseur Gil Isoart de l’Opéra National de Paris, en pleine forme, en jettent plein les yeux. 

Le plateau vocal est un régal. Dans le rôle-titre, le ténor suisse Bernard Richter, port altier, voix au timbre sonore, claire et capable d’inflexions aussi vaillantes que douces, est impeccable ; il n’oublie pas, ce qui est à son honneur, de flatter les mots de Quinault dont il a saisi la qualité. L’émotion est présente dans la scène du sommeil de l’acte III, où sept musiciens, eux aussi en costumes d’époque, rejoignent sur scène les divinités du Sommeil et les Songes pour persuader Atys de céder à Cybèle. Ce moment est des plus accomplis sur le plan lyrico-poétique. Le registre de Richter se révèle déchirant dans la scène finale lorsqu’il se révolte contre le sort tragique. A ses côtés, la soprano Emmanuelle De Negri est touchante dans son rôle de victime de la jalousie dévastatrice de Cybèle, qu’incarne la mezzo Stéphanie d’Oustrac avec maestria, une noblesse méchamment hautaine et un chant d’une pleine beauté. Tout le reste de la distribution est impeccable, il faudrait citer un par un chaque protagoniste pour sa prestation. On soulignera le fait qu’une série de petits rôles ont été confiés opportunément à des solistes du Jardin des Voix, l’académie des jeunes chanteurs des Arts Florissants. Quant à l’orchestre et au maître de cérémonie qu’est William Christie, de quels qualificatifs faut-il les honorer ? On peut imaginer que Ronald Stanton a dû baigner dans le bonheur en entendant cette adéquation parfaite entre les instrumentistes, les voix de haut niveau et une direction d’un dynamisme inspiré au plus haut degré.

Dans ce concert de louanges dont on ne se lasse pas, il faut cependant préciser que ce double DVD Naxos est la réédition d’un autre, paru dès 2011 chez Fra Musica (EDV 1610 - FRA 006). La présentation de ce dernier était plus élégante, avec des photographies en couleurs, dont certaines ne sont reproduites qu’en noir et blanc chez Naxos. La réalisation filmée de François Roussillon est digne de la représentation scénique, avec des vues d’ensemble réussies et des gros plans de qualité, mais la définition de l’image nous parait légèrement supérieure chez Fra Musica. Ce label ajoutait par ailleurs au spectacle un bonus de cent minutes (oui, cent !) qui consistait en « cinq visions d’Atys », avec huit interventions très intéressantes et éclairantes, dont celles de William Christie, Jean-Marie Villégier et Patrice Cauchetier. Pas la moindre trace de ces précieux compléments chez Naxos, hélas, ce qui est des plus frustrants quand on connaît la valeur de ce bonus. Ceux qui possèdent le double DVD Fra Musica le conserveront précieusement. Si ce n’est pas le cas, la réédition Naxos de ce spectacle de si haut niveau est de toute façon à ne pas rater. Mais l’absence du bonus la prive d’un Joker.

 Note globale : 10

Jean Lacroix

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