Sublime Symphonie n°3 de Mahler à Bozar
Ce dimanche 4 mai a lieu le concert de l’Orchestre Symphonique de la Monnaie à Bozar. Au programme de ce concert, une des symphonies les plus longues jamais composées : la Symphonie n°3 en ré mineur de Gustav Mahler. Au niveau des chœurs, nous retrouvons le chœur des femmes de la Monnaie, l’Académie des chœurs de la Monnaie ainsi que le chœur d'enfants et de jeunes de la Monnaie. Les chœurs sont placés sous la direction d’Emmanuel Trenque et de Benoît Giaux. En soliste, nous retrouvons la mezzo-soprano française Nora Gubisch. Au total, ce sont un peu plus de 200 artistes que nous retrouvons sur scène, le tout sous la baguette du directeur musical de la Monnaie, Alain Altinoglu.
La Symphonie n°3 en ré mineur de Gustav Mahler est une œuvre orchestrale d’une envergure exceptionnelle, composée entre 1895 et 1896. Il s’agit de la plus longue des symphonies de Mahler et, de par son ampleur, l’une des plus longues du répertoire symphonique. Cette œuvre monumentale est conçue comme un parcours du chaos vers la lumière. Divisée en six mouvements, chacun possède une identité propre, tantôt tellurique, tantôt céleste.
Dès les premières mesures du colossal premier mouvement, marqué par une ouverture grandiose et remarquable du pupitre des cors, Alain Altinoglu impose une direction claire afin de construire avec une logique certaine ce long mouvement. En effet, ce premier mouvement dure plus de trente minutes. C’est presque une symphonie dans la symphonie. Mahler évoque le réveil du monde naturel, brut et imposant. L’orchestre est ici à l’œuvre dans toute sa puissance : les cordes grondent avec de nombreux trémolos, les percussions tonnent notamment avec les interventions des timbales et de la grosse caisse tandis que les vents imposent une énergie inarrêtable. Altinoglu modèle cette masse sonore avec une précision remarquable, soulignant les nombreux contrastes que contient cette partition. Ce premier mouvement clôture la première des deux parties de cette symphonie.
Les mouvements suivants, plus courts et rassemblés dans cette deuxième partie, apportent un contrepoint délicat et raffiné. Le deuxième mouvement, un menuet champêtre, évoque la nature florissante. Les bois chantent avec légèreté, et les cordes, souples et gracieuses, apportent une fraîcheur presque bucolique. Le troisième mouvement, avec son célèbre solo de cor de postillon qui résonne depuis les coulisses, est un moment suspendu, presque onirique. Cela nous projette dans un univers de souvenirs et de rêverie. L’orchestre y fait preuve d’une belle expressivité, allant chercher les couleurs les plus fines pour sublimer ce solo interprété avec brio par Rudy Moercant.
Le quatrième mouvement, introduit par l’alto solo en la personne de Nora Gubisch, marque un tournant dans l’œuvre. Ici, la voix humaine entre en scène pour porter l’extrait « Chant de minuit de Zarathoustra » du célèbre Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche. La soliste livre une prestation mêlant recueillement et intensité. L’orchestre, en retrait, soutient ce moment d’introspection. Le cinquième mouvement, le plus bref des six, est aussi le plus espiègle. Il met en scène les voix d’enfants et de femmes sur un texte tiré d’une autre œuvre de Mahler : Des Knaben Wunderhorn. L’extrait en question dont il reprend le texte est le suivant : « Es sungen drei Engel ». Ces voix sont portées par un accompagnement léger ponctué par l’intervention de cloches célestes. La prestation, soignée et équilibrée, reflète le travail précis mené en amont par Emmanuel Trenque et Benoît Giaux, avec une prestation au service de cette parenthèse à la fois légère et poétique.
Enfin, le dernier mouvement est le moment le plus intense de cette interprétation avec une lente montée vers la lumière. Nous retiendrons surtout la beauté et les émotions intenses transmises dès le début de ce dernier mouvement. En effet, il s’ouvre dans une atmosphère méditative, avant de se déployer en un vaste adagio, tout en tension retenue. Les cordes, somptueuses de chaleur et d’homogénéité, sculptent de longues phrases où le lyrisme et la solennité se mêlent. L’orchestre, dirigé avec une grande souplesse par Altinoglu, devient un ensemble d’une fluidité remarquable, vibrant à l’unisson. Le climax final, simplement grandiose, nous élève dans une autre dimension. Ce mouvement est un réel moment suspendu dans le temps et est indéniablement le point culminant de ce concert.
Le public éclate en applaudissements et acclamations dès la fin de l’interprétation. La standing ovation est immédiate, signe que ce voyage est vécu avec intensité et émotions par le public. Nora Gubisch livre une prestation d’une grande sensibilité tandis que les chœurs brillent par leur précision et leur expressivité. L’orchestre, quant à lui, livre une prestation magistrale : chaque pupitre se démarque avec ses propres qualités. Les cordes sont très unies et homogènes tandis que l’harmonie fait preuve d’une grande justesse et joue à merveille son rôle avec ses interventions tantôt précises, tantôt lyriques.
Alain Altinoglu guide, quant à lui, cette immense architecture avec une clarté de vision et une sensibilité remarquables. Il parvient à maintenir la tension sur plus d’une heure et demie de musique, en modelant chaque mouvement avec une attention au détail.
Bruxelles, Bozar, le 4 mai 2025
Thimothée Grandjean, Reporter de l’IMEP
Crédits photographiques : Vincent Callot
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