Szymanowski et Gergiev

par

Karol SZYMANOWSKI (1882 – 1937)
- Symphonie n°1 en fa mineur op. 15 – Symphonie n°2 en si bémol majeur op. 19
- Symphonie n°3 « Chant de la Nuit » en si bémol majeur op. 27 – Symphonie n°4 « Symphonie concertante » op. 60 – Stabat Mater
S. Matthews (sop.), E. Gubanova (mezzo), T. Spence (ténor), K. Smoriginas (baryton-basse), D. Matsuev (piano), London Symphony Chorus, dir. : Simon Halsey, London Symphony Orchestra, dir. Valery Gergiev
2013-DDD-47'27'' + 69'53''-Textes de présentation en anglais, allemand, français-LSO 0731 (Symphonies n°1 & 2), LSO 0739 (Symphonies n°3 & 4, Stabat Mater)
Dans le texte très bien documenté de la pochette, l'auteur, Adrian Thomas, se pose la question : « pourquoi Szymanowski fut-il si peu joué, tant de son vivant qu'après sa mort ». Question pertinente dans la mesure où aujourd'hui, Szymanowski est reconnu comme l'initiateur de la modernité musicale polonaise, tant par son oeuvre que par le groupement « Jeune Pologne » qu'il fonda en 1905. Adrian Thomas évoque la situation historique et politique de la Pologne sous la coupe de la puissance occupante, le manque d'identité nationale, le traumatisme de la grande guerre et une vie musicale dans le marasme si l'on sait, par exemple, qu'il fallut attendre 1901 pour voir naître le premier orchestre symphonique professionnel, et donc la difficulté de se faire entendre ou d'entendre les autres compositeurs. Dans le « splendide isolement » qu'il évoquait lui-même, Szymanowski cultivait son admiration pour Chopin, et pour Brahms aussi. Mais dans son oeuvre, c'est plutôt vers Richard Strauss, Max Reger, Scriabine et Stravinsky que son étude le portait. Sa première symphonie qu'il reniait, « une sorte de monstre contrapuntico-harmonico-orchestral » mit dès lors du temps à être publiée et il n'en garda que les deux mouvements extrêmes qui, il est vrai, regorgent de procédés techniques sans toutefois renier le volet émotionnel post-romantique. On distingue généralement trois périodes dans le cursus du compositeur polonais : une période germanique que l'on pourrait aussi qualifier de post-romantique, une période impressionniste ou franco-arabe suite à ses nombreux voyages en Afrique du Nord et en Egypte et une période populaire ou polonaise. La 2e Symphonie composée en 1909/10 témoigne de sa période post-romantique par son chromatisme très prégnant rappelant Scriabine, une fugue finale proche de Reger, et, entre les deux, un thème suivi de cinq variations. Avec la 3e Symphonie datée de 1914/16, période très fertile du compositeur, nous entrons de plein pied dans les subtiles couleurs de sa période impressionniste. Ecrite pour ténor, choeur, orgue et orchestre immense, « Le Chant de la Nuit » est composé sur le texte du poète soufi persan Djalâl al-Din al Rûmi : « Oh ! Ne dors pas cette nuit, précieux ami », les trois mouvements qui la composent formant une grande arche. Quant à la 4e Symphonie, la dernière, symphonie concertante pour piano et orchestre (dédiée à Arthur Rubinstein, grand défenseur de son oeuvre), elle témoigne de sa dernière période par son retour au diatonisme -après le chromatisme des 2e et 3e Symphonies- avec des allusions au folklore polonais.
Retour à la case départ : depuis quand rejoue-t-on Szymanowski ? Il semblerait que l'initative vint de Londres où, en 1970, on monta Le Roi Roger ; s'ensuivit la réédition des archives polonaises et l'activité, toujours insulaire, de Simon Rattle qui fit redécouvrir l'oeuvre de Szymanowski à Birmingham. Aujourd'hui, Valery Gergiev se livre à la tâche : les deux CD qu'il nous propose ont été enregistrés « live » au Barbican. Les quatre symphonies réunies sous la baguette des mêmes effectifs nous donne l'occasion de suivre le geste compositionnel de Szymanowski, option qu'a visiblement adoptée Valery Gergiev qui donne des deux premières symphonies leurs couleurs et leurs architectures straussiennes, à la troisième la volupté des couleurs debussystes et à la quatrième les accents sauvages que l'on pourraient rapprocher des Noces de Stravinsky et de la conception pianistique de Prokofiev.
Bernadette Beyne
Son  10 – Livret 10 – Répertoire 9 – Interprétation 9

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