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Ensevelie dans un bric à brac lugubre, La Vestale sauvée par le chant à l’Opéra de Paris

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« Je suis venue parce que j’aime le morbide » confie une adolescente à l’entrée. Elle a dû être déçue. D’abord, parce que la musique altière où se love un chant large et spianato dégage une insolente énergie vitale. Ensuite, parce que sur le lieu même où fut emprisonné le marquis de Sade en 1785, la mise en scène manque paradoxalement d’ imagination.

Sans doute désemparée devant cet opéra romain-napoléonien, la metteur en scène Lydia Steier négligeant l’histoire de France au profit de la sienne - anglo-saxonne- , explique  avoir cherché des idées du côté de l’Iran puis des Mormons pour, finalement, se tourner vers une dystopie  américaine « La servante écarlate » qu’elle a épicée de  nazis, fascistes franquistes, pénitents cagoulés, soldats à kalachnikov.

Lorsque La Vestale, Tragédie lyrique en 3 actes de Gaspare Spontini sur un livret  d'Étienne de Jouy, parut sur la scène de l’Académie Impériale de Musique, le 15 décembre 1807, elle fut accueillie avec des transports d’enthousiasmes. Wagner l’admirait, Berlioz également. Elle resta en faveur tout le siècle. Maria Callas s’empara du rôle en 1954. Récemment, une version orchestrale rutilante dirigée par Christophe Rousset au Théâtre des Champs-Élysées a permis d’apprécier « sur pièce » une partition-charnière qui hésite entre Gluck et Chérubini, entre l’épure, l’émotion et le grandiose.

A Genève, un Don Carlos visuellement affligeant 

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‘Jeux de pouvoir’, tel est le titre que comporte la saison 2023-2024 du Grand-Théâtre de Genève. Et le spectacle d’ouverture en est le Don Carlos de Giuseppe Verdi dans la version originale française en cinq actes, créée à l’Opéra de Paris, Salle Le Peletier le 11 mars 1867 mais ne remportant qu’un succès d’estime.

D’un cycle « grand opéra » entrepris il y a deux ans avec Les Huguenots de Meyerbeer suivi de La Juive d’Halévy, Don Carlos est le troisième volet. Marc Minkowski qui les a dirigés se jette à corps perdu dans cet ouvrage complexe en utilisant la partition avec laquelle Verdi a commencé les répétitions en 1867. Mais il laisse de côté une large part du Ballet de la Reine, La Peregrina, ainsi que le lamento de Philippe II « Qui me rendra ce mort » et utilise pour l’acte II une version ultérieure de la scène en duo entre le monarque et Rodrigue, Marquis de Posa. A la tête de l’Orchestre de la Suisse Romande et du Chœur élargi du Grand-Théâtre de Genève (préparé remarquablement par Alan Woodbridge), il transpire sang et eau afin de créer une tension dramatique tout au long de cette vasque fresque. Mais le soir de la première, sa lecture manque d’un galbe sonore accentuant les contrastes et semble quelque peu brouillonne.

Quelle force d’expression possède le livret français élaboré par Joseph Méry et Camille Du Locle par rapport au remaniement italien d’Angelo Zanardini édulcorant la virulence des scènes opposant Philippe II à Rodrigue et au Grand Inquisiteur !

Et c’est sur ce texte, projeté à l’avant scène et sur les parois latérales, que se concentre le spectateur du Grand-Théâtre, tant la mise en scène de Lydia Steier est pitoyable. En ses grandes lignes, Don Carlos évoque la France décimée par la guerre et l’Espagne sinistre du milieu du XVIe siècle, alors qu’ici, nous sommes confrontés à une entrée de palais désaffecté que la populace envahit pour assister à la pendaison d’un pauvre diable portant autour du cou le mot « traître » sur une plaquette. Spectateur, oublie le fait qu’en la forêt de Fontainebleau, les bûcherons prient pour que les hostilités avec l’Espagne prennent fin… Car, dans le programme, la régisseur (régisseuse ?), flanquée de son scénographe et vidéaste Momme Hinrichs et de sa costumière Ursula Kudrna, nous explique que, à eux trois, ils ont essayé de trouver des temps et des lieux comportant une esthétique forte, soit l’URSS vers la fin de Staline et l’Allemagne de l’Est. Donc foin d’un roi et de son inquisiteur, contente-toi du petit père des peuples et de Lénine placardés sur les murs ! 

Hamlet d’Ambroise Thomas : L’Être et le Néant à l’Opéra de Paris

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Inspiré de Shakespeare, le livret (Michel Carré et Jules Barbier, librettistes de Gounod et Offenbach, notamment) reste fidèle à l’intrigue mais certains personnages passent à la trappe, les relations sentimentales prennent le pas sur l’héroïsme, Hamlet reste vivant et, surtout, la poésie unique du verbe shakespearien s’est effacée au profit d’un texte plus banalement romantique. En effet, créé en 1868 sous le Second Empire à l’Académie impériale de Musique, l’oeuvre porte l’empreinte du goût pour les vastes proportions et les élans passionnels caractéristiques du temps. 

Le metteur en scène polonais, Krysztof Warlikowski, se place sur un terrain encore différent. Freud et Lacan sont passés par là. Une distorsion subtile menée avec autant d’intelligence que de détermination subvertit profondément les caractères et la dynamique des cinq actes.

 A commencer par l’interversion du temps, l‘Acte I confondant les funérailles de la fiancée suicidée et les noces adultères de la mère. En contrepoint, sur le côté, quatre personnages dont Ophélie et son frère jouent aux cartes. Une trouvaille ! Ainsi la question posée par la jeune fille au début de la scène de la folie (A.IV), « A vos jeux, mes amis », va colorer -voire, hanter- la tragédie entière, dès le lever de rideau....ou plutôt de grillage puisque le plateau est cerné de grilles et de murs percés de meurtrières.

Seule perspective : une vidéo de lune en noir et blanc, une lame de lumière froide tournée vers la salle puis des vidéos de clown blanc, mélange de Joker et de Nosferatu. Dans cette cage physique et mentale, des infirmières passent, des déments tentent de s’évader.

A l’exception d’une robe de chambre, les costumes criards, peu seyants, participent de la dérision. Les trônes royaux sont en skaï et les jeux de scène consistent le plus souvent à allumer une cigarette, se lever et s’asseoir sur des chaises en plastique. En gestes puérils, Ophélie fait tournoyer un filet rempli d’oranges (allusion au « pays où fleurit l’oranger » de Mignon, précédent succès du compositeur ?).

Un ballet mêlant danseurs de l’Opéra et choristes fracture l’ensemble en une sorte de faille spatio-temporelle où tout sombre dans la confusion.

La dérision corrompt jusqu’au sens de la mort, représentée par un clown décadent et livide dont Hamlet endossera, à la fin, le costume inversé en noir.

La rencontre entre cette architecture intellectuelle ultra-sophistiquée et la musique d’Ambroise Thomas qui, bien que fluide et propice au chant, n’a pas beaucoup d’arrière-pensées, produit un effet curieux. Mais la structure musicale résiste. Mieux, elle se déploie au service des émotions et des interprètes. Quant à la mise en scène, sa puissance de conception contredit le néant qu’elle est supposée démontrer.

Avec d’autant plus de force que le baryton français Ludovic Tézier s’approprie le personnage du prince danois ; stature imposante, voix dans sa plénitude, art vocal au sommet. Sa romance « Comme une pâle fleur » de l’Acte V se révèle exemplaire de diction, de phrasé, d’émotion. Une démonstration de beau chant français. La chanson bachique le place délibérément en porte à faux, comme ses déambulations erratiques tandis que la profondeur du timbre, la vigueur de l’émission évoqueraient plutôt la résistance d’une bête aux abois. Ainsi la figure romantique du prince névrosé et déchu est-elle réduite elle aussi, au néant.

Lisette Oropesa (Ophélie) offre son rayonnement scénique, sa sensibilité et sa voix souple et fruitée à une fiancée-écolière qui se révèle merveilleusement expressive dans la folie et le suicide, scènes saluées d’une longue ovation. Admirable artiste à l’impeccable diction française (dont Crescendo a depuis longtemps souligné les qualités).

La Reine Gertrude emprunte le timbre mat, l’émission puissante parfois feulée et la longue silhouette penchée d’Eve-Maud Hubeaux. En dépit d’une diction exagérément appuyée dans les graves (éclâr pour éclair ou Ophéli-eû pour Ophélie), la mezzo suisse assume avec panache la scène de l’affrontement avec son fils et parvient à distiller le malaise voulu par la mise en scène.

Carmen-Thérapie à Luxembourg

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Au Grand Théâtre de Luxembourg, si la Carmen de Bizet, magnifiquement servie par ses interprètes, a encore imposé les envoûtements de sa partition, sa « représentation », elle, mérite quelques réflexions.

Voilà une partition qui, depuis sa création en 1875 (même si ses premiers jours furent difficiles), ne cesse de fasciner encore et encore des publics de partout. Cette saison, elle fera l’objet de 89 productions et sera représentée 547 fois ! Fascination pour son héroïne évidemment. Fascination aussi pour sa partition : entendre Carmen, c’est en retenir les airs et les retrouver à l’instant, quelques notes suffisent. A Luxembourg, elle a été musicalement très bien servie. Eve-Maud Hubeaux a été une excellente incarnation vocale de la redoutable gitane : séductrice, amoureuse, agressive, libre dans les notes qui la définissent. Epanouie. Michael Fabiano a peu à peu (c’est lié au concept de la mise en scène) manifesté la sidération de Don José, la façon dont il bascule dans une folie amoureuse inexorable. On regrettera peut-être alors qu’il « passe trop en force », notamment dans le duo final où il couvre la voix de sa partenaire. Anne-Catherine Gillet, quelles que soient les apparences qu’« on » a imposées à sa Micaëla, a justement exprimé toute la tendresse d’un amour « ordinaire », raisonnable. L’Escamillo de Jean-Sébastien Bou nous a paru un peu en retrait. Louise Foor (Frasquita), Claire Péron (Mercédes), Jean-Fernand Setti (Zuniga), Pierre Doyen (Moralès), Guillaume Andrieux (le Dancaïre) et Enguerrand de Hys (le Remendado) ont été leurs « comparses » bienvenus. Dans la fosse, José Miguel Pérez-Sierra a prouvé, avec l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg, qu’il maîtrisait sa Carmen. Une mention particulière pour l’ensemble choral Aedes, intense présence.

Penthesilea, l’opéra « coup-de-poing » de Dusapin

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Pascal Dusapin (né en 1955): « Penthesilea », Opéra avec prologue, 11 scènes et épilogue d’après Heinrich von Kleist.  Natascha Petrinsky, Marisol Montalvo, Georg Nigl, Werner Van Mechelen, Ève-Maud Hubeaux, Wiard Witholt, Yaroslava Kozina, Marta Beretta. Orchestre symphonique et chœurs de La Monnaie, dir. Franck Ollu.2019-2CD-89’51"-Textes de présentation en français, néerlandais et anglais-Livret en allemand-Cyprès CYP4654 419

Eugène Samuel-Holeman, Joseph Jongen, César Franck :  les dernières révélations de Musique en Wallonie

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Le label Musique en Wallonie vient de publier coup sur coup trois remarquables disques qui reflètent particulièrement bien son engagement envers le patrimoine musical de la communauté francophone de Belgique. Autant de pierres à l’édifice que représente le monde discographique à l’heure actuelle : utile et agréable, donc nécessaire. Trois inédits, tant dans le choix des répertoires que dans la conception de l’objet. Trois projets d’envergure qui ont en commun l’expression vocale, accompagnée d’un piano, d’un ensemble instrumental ou d’un orchestre, et qui sont sous-tendus par une vision de la musique de chambre et de la musique symphonique fortement ancrée dans notre temps. C’est ce qui convainc d’emblée dans ce pari mené avec ferme conviction par les acteurs de ces brillantes productions à transmettre aujourd’hui encore la musique classique, qui plus est sous le prisme de raretés.

La magnificence de voix au Festival d’Ambronay

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Le Festival d’Ambronay fête ses 40 ans sous le thème de « musique baroque et métissée ». Pendant quatre week-ends prolongés (du jeudi au dimanche), se succèdent des musiciens et ensembles de renom, tels que Hespèrion XXI et Jordi Savall, Les Arts Florissants et William Christie, Les Correspondances et Sébastien Daucé, Pygmalion et Raphaël Pichon, ou encore Les Talens Lyriques et Christophe Rousset. Un laboratoire d’expériences pratiques et artistiques où la musique baroque et ancienne, ses programmes, allant de la musique médiévale à des créations contemporaines, sont devenus au fil des années de plus en plus variés. Le Festival Eeemerging (un festival dans le Festival, avec six jeunes ensembles de musique ancienne qui présentent le résultat de leurs résidences ; cette année l’ensemble Concerto di Margherita a remporté le prix du public), notamment, fait du Festival d’Ambronay une pépinière de jeunes talents. C’est un rendez-vous annuel baroque incontournable pour les mélomanes, les amateurs et les programmateurs.

La Folie et le « Baroque Lande » d’amour et de passion

Pour le troisième week-end, les trois concerts vocaux dont un opéra étaient tous de très haute volée. Le programme « Eclats de folie » (27 septembre) de Stéphanie d’Oustrac et l’Ensemble Amarillis (qui fête ses 20 ans) se déroule sous forme de récit lyrique ou opéra pastiche. Une fois entrée en scène, la Folie passe par tous les états dans son aventure amoureuse. L’histoire est contée par des pièces instrumentales et vocales de Campra, Marais, Purcell, Haendel…, aux caractères et ambiances fort différents, sans oublier l’irrésistible scène de tempête. Toujours profondément engagée dans son art, Stéphanie d’Oustrac incarne à merveille ce personnage clé du répertoire. Plus le concert avance, plus elle fait preuve d’une expressivité surprenante, avec une belle complicité de l’ensemble Amarillis qui met efficacement en relief l’évolution sentimentale de l’héroïne.

Un bouleversement sensoriel : Tristan und Isolde de Richard Wagner

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A l’opéra, l’essentiel, évidemment, c’est ce que l’on entend : un livret mis en musique et chanté. Il arrive, malheureusement, qu’une incarnation scénique–scénographique, encombrante, prétentieuse, en contresens, vienne en compromettre la réception. Mais heureusement, des metteurs en scène offrent à l’œuvre qu’on leur a confiée le meilleur des environnements, celui qui garantira au chant les meilleures possibilités d’expression et d’épanouissement. C’est le cas à La Monnaie ces jours-ci pour le Tristan und Isolde conçu par Ralf Pleger et Alexander Polzin.

Et pourtant, l’on pourrait être perplexe quand le rideau se lève pour chacun des trois actes : au premier acte, un immense miroir se dresse au fond du plateau, de tout aussi immenses « stalactites » pendent au plafond. L’un après l’autre, ils se développent lentement mais sûrement et finissent par toucher le sol. Au second acte, une installation monumentale surgit, sorte d’immense (oui encore) souche d’arbre, mais dont on a vite l’impression qu’elle est plutôt comme un entrelacs de corps pétrifiés. Au troisième acte, c’est une immense (oui toujours) cloison percée de trous tantôt éclairés tantôt traversés par des tubes, qui s’avance inexorablement.

Un spectacle réussi sans doute, mais imparfait

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Anne-Catherine Gillet © Hofmann / La Monnaie

Béatrice et Bénédict
Pour cette nouvelle production de l'opéra-comique de Berlioz, La Monnaie inaugurait son "Palais", véritable ville dans la ville, un chapiteau de 500 m2, pouvant contenir 1100 places, installé sur le site industriel de Tour & Taxis", ancienne gare de marchandises désaffectée. Jusqu'à l'achèvement des travaux au bâtiment original, soit en décembre de cette année, les spectacles se donneront ici. Le directeur général, Peter de Caluwe, l'a rappelé en ce jour de première, après la minute de silence dédiée aux victimes des attentats du 22 mars suivie d'une "Brabançonne" émue.