La magnificence de voix au Festival d’Ambronay
Le Festival d’Ambronay fête ses 40 ans sous le thème de « musique baroque et métissée ». Pendant quatre week-ends prolongés (du jeudi au dimanche), se succèdent des musiciens et ensembles de renom, tels que Hespèrion XXI et Jordi Savall, Les Arts Florissants et William Christie, Les Correspondances et Sébastien Daucé, Pygmalion et Raphaël Pichon, ou encore Les Talens Lyriques et Christophe Rousset. Un laboratoire d’expériences pratiques et artistiques où la musique baroque et ancienne, ses programmes, allant de la musique médiévale à des créations contemporaines, sont devenus au fil des années de plus en plus variés. Le Festival Eeemerging (un festival dans le Festival, avec six jeunes ensembles de musique ancienne qui présentent le résultat de leurs résidences ; cette année l’ensemble Concerto di Margherita a remporté le prix du public), notamment, fait du Festival d’Ambronay une pépinière de jeunes talents. C’est un rendez-vous annuel baroque incontournable pour les mélomanes, les amateurs et les programmateurs.
La Folie et le « Baroque Lande » d’amour et de passion
Pour le troisième week-end, les trois concerts vocaux dont un opéra étaient tous de très haute volée. Le programme « Eclats de folie » (27 septembre) de Stéphanie d’Oustrac et l’Ensemble Amarillis (qui fête ses 20 ans) se déroule sous forme de récit lyrique ou opéra pastiche. Une fois entrée en scène, la Folie passe par tous les états dans son aventure amoureuse. L’histoire est contée par des pièces instrumentales et vocales de Campra, Marais, Purcell, Haendel…, aux caractères et ambiances fort différents, sans oublier l’irrésistible scène de tempête. Toujours profondément engagée dans son art, Stéphanie d’Oustrac incarne à merveille ce personnage clé du répertoire. Plus le concert avance, plus elle fait preuve d’une expressivité surprenante, avec une belle complicité de l’ensemble Amarillis qui met efficacement en relief l’évolution sentimentale de l’héroïne.
Le contre-ténor Paulin Bündgen et la claveciniste Caroline Huyng Van Xuan partent quand à eux pour un tour d’horizon de l’Europe au XVIIe siècle dans le « Baroque Land » (29 septembre). Le chanteur explique qu’il a réuni des tubes baroques, des airs connus de tous, d’une communauté, ou de lui-même, pour mettre en évidence différents paysages de ce pays de l’exagération et de l’exubérance. Ils chantent la passion et l’amour dans les brumes de la Tamise, dans la splendeur du château de Versailles, dans la rigueur germanique, dans l’Espagne vive avant d’arriver en Italie où toutes les expériences musicales sont permises. La souplesse de sa voix, son timbre clair, sa projection naturelle, ses aigus purs et sonores… Tout cela est déployé avec tant d’élégance et de précision que les monts et les mers, les vallées et les lacs de ces contrées ne font que nous fasciner. Notons que Caroline Huyng Van Xuan montre son extraordinaire originalité en accélérant progressivement tout au long du Ground en fa mineur d’Eccles avant de ralentir comme pour tout relâcher.
Giulio Cesare magnifie l’amour
Au terme d’une série de représentations, Christophe Rousset et Les Talens Lyriques, « blindés » par les six chanteurs aussi merveilleux les uns que les autres, donnent une version de concert éblouissante de Giulio Cesare in Egitto de Haendel (28 septembre).
Le contre-ténor Christopher Lowrey séduit dès sa première apparition par la clarté de sa voix et la puissance de sa projection. La technique vocale impeccablement mise en place, ses vocalises sont elles seules un grand spectacle à savourer tel quel, et on n’est pas déçus ! Il lie agilité et ampleur comme une évidence dans l’air « Vanne ! Verrò alla reggia » de l’acte I ; dans « Va tacito e nascosto », il est sans faille, notamment dans les aigus superbes, et le magnifique cor solo ajoute une formidable couleur à la densité dramatique et psychologique.
En effet, chaque personnage a sa part de psychologie que l’on peut explorer à l’infini. Ainsi, Cléopâtre incarnée par la voix suave de Karina Gauvin, est-elle à la fois légère (acte I) et grave (acte III), en passant par un caractère dramatique à souhait (acte II, notamment dans « Che sento ? ») tout en étant très émouvante (acte II, « V’adoro, pupille »).
Dans le rôle de Cornelia, Eve-Maud Hubeaux apporte une touche profonde et intense, en conférant un contrepoids fascinant à l’ensemble de chanteurs aigus. Sa projection impressionnante et son timbre à la fois riche et sombre, fondante et consistante, font d’elle une tragédienne naturelle ; elle exprime ainsi tous les sentiments d’une femme somme toute courageuse. Un seul bémol : sa diction n’est pas toujours très claire, notamment les consonnes.
Ann Hallenberg, en rôle travesti de Sesto, est une valeur sûre. Son chant est l’équilibre même et l’assurance ne manque jamais au rendez-vous. Si le duo avec Cornelia à la fin de l’acte I offre un moment sublime, elle montre un contrôle irréprochable dans son air « La giustizia ha già sull’arco » (acte III). La voix brillante de Kacper Szelążek convient parfaitement au personnage de Tolomeo, ses vocalises formidablement placées font le bonheur des admirateurs de contre-ténors. Ashley Riches campe Achilla, un général tout aussi amoureux que César, dont l’humanité est exprimée avec une grande justesse dans « Tu sei il cor di questo core » de l’acte I.
L’orchestre est mené par Christophe Rousset dont le brio n’est jamais démenti, seul au clavier ou dirigeant l’ensemble des musiciens. Sa direction permet aux solistes et aux continuistes de se fondre tout à fait naturellement dans les chants ou les autres instruments, conférant à l’œuvre une grande unité malgré une succession d’airs à caractères parfois très différents, notamment un brin d’humour dans une situation sérieuse. L’énergie du chef transparaît dans la production entière qui rend la musique plus que vivante et triomphante à l’image de l’empereur romain.
Festival d'Ambronay 28 et 29 septembre 2019
Crédits photographiques : Festival Ambronay
Victoria Okada