« Falstaff » à La Monnaie
Réjouissez-vous, nous ont dit Verdi et Arrigo Boito, son librettiste. Réjouissez-vous, nous ont dit Laurent Pelly et toute son équipe. Réjouissez-vous, nous ont dit les solistes, Alain Altinoglu, l’Orchestre Symphonique et les Chœurs de La Monnaie. Et nous nous sommes réjouis !
Réjouissez-vous, nous ont dit Verdi et Arrigo Boito. Le compositeur a quatre-vingt ans, il a parcouru tous les possibles du tragique, il veut s’amuser, il veut amuser. Et cela avec un des personnages hors-normes de ce Shakespeare qu’il aime tant : Sir John Falstaff, qu’il va confronter aux « Joyeuses Commères de Windsor ». Le rusé Falstaff va trouver plus rusées que lui : rira bien qui rira le dernier ! Arrigo Boito et Verdi, en toute complicité heureuse, écrivent un livret pétillant, virevoltant, drôle, savoureux. Les dialogues rebondissent. L’intrigue multiplie les quiproquos, surligne les personnages, se joue d’eux, bouscule son « héros », mais en lui réservant une immense tendresse. Quant à la partition, elle aussi, elle est un bonheur d’inventivité, de création d’atmosphères, de clins d’œil, d’auto-références, de légèreté – et peut même se faire savante, comme dans l’inattendue fugue finale. Tout Verdi est là, avec un immense sourire. Et nous nous sommes réjouis.
Réjouissez-vous, nous a dit Laurent Pelly. On connaît sa fidélité aux œuvres, cette façon qu’il a, en toute modestie inventive, créative, de se mettre à leur service, de nous donner à les vivre au mieux. Cette fois encore, il nous emporte dans une mise en scène au rythme soutenu, sans rupture de tempo, à l’unisson de la partition. Quelle légèreté dans cette farce subtile pourtant focalisée sur un gros bonhomme. Pelly a l’art de ces mouvements corporels automatisés qui, « mécaniques sur le réel », comme aurait dit Bergson, font toujours sourire et contribuent au rythme. Il entraîne ses personnages dans des déplacements rapides qui allègent le propos. Il leur a conçu des vêtements aux tons pastel contrastés qui en font comme des notes en mouvements. Avec Barbara de Limburg, il a imaginé un dispositif scénique modulaire qui soit se focalise sur Falstaff dans une taverne aux murs resserrés le faisant apparaître plus énooooorme dans sa splendeur ou écrasé quand il est dupé ; soit s’ouvre sur un espace aux escaliers symétriques dont on sait combien, escaladés, dévalés, ils emportent le rythme des comédies musicales. Pelly réussit même à être onirique-drôle avec la scène ultime de la fantasmagorie : c’est si beau, si poétique et si burlesque à la fois. Et nous nous sommes réjouis.