Tanguy de Williencourt éblouissant dans Franck
César Franck (1822-1890) : Les Djinns*; Prélude, Choral et Fugue; Variations symphoniques*; Prélude, Aria et Final. Tanguy de Williencourt, piano, *Flanders Symphony Orchestr, direction : Kristiina Poska.2022-67’37-Textes de présentation en français, anglais et allemand- Mirare MIR598
On ne risque pas grand-chose à affirmer qu’il ne sera pas facile de trouver un enregistrement de la musique de piano de César Franck plus réussi que celui-ci pour marquer le bicentenaire de la naissance du maître liégeois.
Car tout ici est parfait. D’abord, par l’originale conception du programme mêlant les deux plus grandes compositions pour piano seul de Franck et ses deux plus belles oeuvres concertantes. Ensuite, parce que tout contribue à faire de ce disque une réussite totale : il y a les qualités de l’interprétation bien sûr (nous y reviendrons), mais aussi la superbe prise de son de cet enregistrement réalisé au Concertgebouw de Bruges, un magnifique Steinway parfaitement réglé, ainsi que -bonus appréciable- les judicieux commentaires dus au soliste, expliquant non seulement son rapport personnel à César Franck mais proposant en outre une subtile analyse des oeuvres exécutées.
Rareté au disque comme au concert, Les Djinns -poème symphonique (Liszt n’est pas loin) pour piano et orchestre inspiré du célèbre et virtuose poème de Victor Hugo- permet à Tanguy de Williencourt de faire entendre après les grommellements de l’introduction orchestrale un jeu cultivé et intelligent, ferme et énergique, plein de sensibilité comme de panache.
Du Prélude, Choral et Fugue, sommet absolu de la création pour piano de Franck, le pianiste offre une interprétation qui s’inscrit parmi les plus belles de la discographie. Tanguy de Williencourt aborde ce chef-d’oeuvre avec le naturel d’un interprète qui n’a rien à prouver, optant pour une approche caractérisée par autant de simplicité que de noblesse et une totale absence de profondeur feinte. Dans le Prélude, on admire la dignité et la hauteur de vue de l’interprète de même que la clarté qu’il apporte aux textures parfois touffues de l’écriture franckienne. Le Choral fait entendre de beaux accords arpégés sans lourdeur, mais surtout une maîtrise dans la construction progressive de la tension associée à une éloquence peu commune. On a l’impression d’assister ici à une continue ascension vers la lumière avant d’en arriver à l’apothéose de la Fugue, menée ici de main de maître.
Suivent alors des Variations symphoniques, où passée la simplicité de l’introduction -que le pianiste compare très justement au début de mouvement lent du Quatrième concerto de Beethoven- le pianiste nous offre une interprétation aussi assurée que sensible, aussi pleine d’éloquence que de bravoure.
Le programme de termine sur le Prélude, Aria et Final où Tanguy de Williencourt fait étalage des mêmes qualités que celles observées dans les pièces précédentes. Le Prélude est réfléchi, apaisé et lumineux. Dans l’Aria, l’interprète rend à la perfection ce qu’il qualifie si justement dans son texte d’accompagnement d’ ‘’union des deux tendances chrétienne et panthéiste de Franck : une spiritualité pieuse alliée à une expressivité débordante’’.
Comme dans la Symphonie de Franck, le Finale constitue une irrésistible montée vers la lumière. A nouveau, on ne peut qu’admirer la sonorité pleine et toujours belle de Tanguy de Williencourt, son jeu finement articulé, la liberté de son phrasé comme l’invariable probité et l’infaillible justesse de son interprétation : chaque note reçoit ici son poids, chaque phrase sa respiration.
Enfin, il convient d’associer au succès de cette entreprise le Symfonieorkest Vlaanderen (ici rebaptisé Flanders Symphony Orchestra) sous la baguette autoritaire et dynamique de sa cheffe estonienne Kristina Poska.
Son: 10 - Livret: 8 - Répertoire: 10 - Interprétation: 10
Patrice Lieberman