L’hommage à Basquiat à la Fondation Louis Vuitton

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Présenté en clôture de l’exposition Jean-Michel Basquiat, ce concert de l’Ensemble intercontemporain associait grands maîtres américains (Cage, Crumb), jeunes compositeurs installés à Paris (Robin, Dessner) et la création mondiale d’une pièce pour trois trompettes du directeur musical de l’ensemble, Matthias Pintscher.

Skull de ce dernier se veut un hommage à Basquiat (le « crâne » étant une figure omniprésente chez le peintre américain). On repère bien un tâchisme instrumental, un travail de spatialisation à la manière de la superficie d’une toile, et une volonté d’accumulation expressive, mais Skull s’apparente avant tout à une œuvre de commande au modernisme apaisé, utilisant les sourdines des trompettes (Lucas Lipari-Mayer, Gustav Melander, Clément Saunier) avec beaucoup de goût dans un discours très élégant et architecturé. Oublions rapidement les 7 Haikus de John Cage interprétés par le valeureux pianiste Hideki Nagano. De l’aveu de Basquiat, le groupe de noise auquel il appartenait faisait de la musique inspirée par John Cage, c’est-à-dire « de la musique qui n’[était] pas vraiment de la musique ». On ne saurait donner tort aux propos de l’artiste new-yorkais, tant on ne sait quand commencent ni finissent ces piécettes au bord du néant. Seule reste l’idée de performance artistique, et la probable envie d’épater le bourgeois.

Plus sûrement, le programme de l’Ensemble intercontemporain établissait un lien entre le peintre et le compositeur nonagénaire George Crumb. Si on excepte le fait que le concert enchaînait cinq musiciens blancs pour rendre hommage à un artiste dont les origines haïtiennes innervent le travail en profondeur (quasi contemporain de Basquiat, Julius Eastman aurait pu faire entendre la voix d’une autre Amérique), l’interprétation de Vox Balenae et Black Angels saisissait par les affinités esthétiques entre les deux artistes. Nécessitant un trio de musiciens masqués (Pierre Strauch, Sophie Cherrier, Hideki Nagano), Vox Balenae nous plonge dans un monde à la fois raréfié et luxuriant, qui culmine dans une apocalypse finale d’une splendide simplicité. Encore plus hétérogène, Black Angels pour quatuor à cordes électrifié dresse le portrait d’un George Crumb en artiste politique (l’œuvre interroge la Guerre du Vietnam), tour à tour rugueux, chamanique, trivial et enfantin. A l’aide de nombreux instruments (maracas, verres en cristal, gongs… ), le quatuor de l’Ensemble intercontemporain (Jeanne-Marie Conquer, Diego Tosi, Eric Maria Couturier, John Stulz) livre une superbe interprétation, brossant un tableau musical aussi puissamment original qu’une toile de Basquiat.

Les deux dernières pièces du programme mettaient en valeur l’énergie du geste traditionnellement associée au peintre néo-expressionniste. Classique de la jeune musique française, Art of Metal II pour clarinette-contrebasse de Yann Robin appartient au courant de la musique saturée. Oscillant entre free jazz et gestes varésiens, la pièce a perdu de son pouvoir de subversion mais séduit par le plaisir physique de sa virtuosité instrumentale (admirable Alain Billard). Clôturant ce très riche programme, Wires de Bryce Dessner offrait une merveilleuse passerelle entre musiques rock et contemporaine. Le guitariste américain installé à Paris n’a peut-être pas l’oreille d’un musicien spectral (son orchestration est souvent massive et brute), mais la luxuriance de son imagination, l’énergie déployée lors des mesures finales fait souffler un immense vent de fraîcheur sur le paysage musical actuel. Après son enthousiasmant Concerto pour deux pianos à l’Orchestre de Paris, Bryce Dessner confirme sa capacité à fédérer art populaire et recherche expérimentale, Amérique et Europe, dans un élan farouche et libérateur.

Fondation Louis Vuitton,  21/01/2019

Laurent Vilarem

Crédits photographiques : EIC

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