Tomasz Kamieniak illustre les affinités polonaises de Franz Liszt 

par

Franz Liszt (1811-1886) : Polonicum. Œuvres pour piano, volume 1 : Six Chants polonais de Frédéric Chopin, S. 480 ; Mélodie polonaise, S. 249a ; Feuillet d’album : Andantino en la dièse majeur, S 166p ; Fête polonaise, S. 230a ; Deux Fragment de Saint-Stanislas, S. 688a ; La légende de Saint-Stanislas, introduction orchestrale, arrangée par Tomasz Kamieniak S. 688 bis ; Deux Polonaises de l’oratorio St. Stanislas, S. 519 ; Arbre de Noël, S. 185a n° 12 ; I Puritani - Introduction et Polonaise de l’opéra de Bellini, S.391 ; Mazurka brillante, S. 221 ; Polonaise de l’opéra Eugène Onegin de Tchaïkowsky, S. 429. Tomasz Kamieniak, piano. 2021. Notice en polonais et en anglais. 71.02. Dux 1789.

Le pianiste et compositeur Tomasz Kamieniak, établi à Berlin, est très attaché à la musique de Franz Liszt ou de Charles Valentin Alkan, ainsi qu’à des compositeurs oubliés. Après son diplôme obtenu à l’Académie de Musique Karol Szymanowski de Katowice, il s’est perfectionné à la Hochschule für Musik Franz Liszt à Weimar, a suivi des masterclasses, notamment avec Konstantin Scherbakov, ainsi qu’à Londres avec Leslie Howard auquel on doit une monumentale intégrale du maître hongrois parue chez Hyperion. Avec Howard, il a joué en concert un arrangement pour deux pianos de la Symphonie Faust. Sa discographie est constituée d’un album d’œuvres de Józef Wieniawski, le jeune frère d’Henryk, légendaire violoniste, de deux gravures de ses propres compositions (le tout chez Acte Préalable) et d’un récital consacré à Valentin Silvestrov (Brilliant Classics). 

Pour le label Dux, il propose un éventail de pages de Liszt qui s’étalent sur la période située entre 1840 et les toutes dernières années du compositeur et sont en lien, direct ou indirect, avec le pays natal de Chopin. A tout seigneur, tout honneur ! Six Chants polonais de ce dernier servent d’introduction. Moins de dix ans après sa disparition, un recueil de ses dix-sept mélodies op. 74, composées entre 1829 et 1847, fut publié à Berlin. Le Hongrois s’empara de six d’entre elles et en fit une transcription, la première dès 1857. Dans sa monumentale biographie consacrée à Liszt, Alan Walker écrit que loin d’être un arrangement de Chopin, les Mélodies polonaises constituent une œuvre rigoureusement indépendante, à laquelle on n’aurait jamais dû, au départ, associer le nom de Chopin. Autrement dit, il faut y voir l’effet du hasard, et non pas un lien de cause à effet (Fayard, 1989, tome I, p. 513). Au cours de cette série qui reprend les titres des chants originaux (Le Souhait, Le Printemps, L’Anneau, Bombance, Ma Bien-aimée, Le Fiancé), Kamieniak souligne avec pudeur et émotion les différents sentiments qui animent ces pièces : la vivacité de la jeune fille qui rêve d’être un oiseau, la mélancolie, l’alliance offerte à l’indifférente, l’exubérance de la fête, le cri de bonheur ou la douleur de la perte. 

Après ce recueil raffiné, le pianiste construit un programme diversifié avec des pages brèves de 1847 comme la Mélodie polonaise ou un délicat Feuillet d’album, avant de s’attarder sur la Légende de Saint-Stanislas, le saint patron martyr de la Pologne, assassiné au XIe siècle pendant une eucharistie. Ce projet d’oratorio, sur lequel Liszt a beaucoup travaillé, apparaît en 1869, mais il demeurera inachevé. Le musicien y voyait un des grands thèmes de l’histoire : la lutte entre l’Eglise et l’Etat (Alan Walker, o.c., tome II, p. 507). Sa compagne, la Princesse Carolyne de Sayn-Wittgenstein avait adapté à cet effet un poème de Lucien Simienski. Kamieniak en joue deux très brefs fragments, l’un étant arrangé par ses soins. Il fait de même pour l’introduction orchestrale, une page aux accents de lamentation (c’est une première gravure mondiale), d’après des sources autographes. Deux Polonaises de 1870 complètent l’approche de Saint Stanislas, l’une contient des éléments de résignation, comme le souligne la notice de Dariusz Marciniszyn, l’autre des aspects héroïques. De quoi raviver le regret que Liszt n’ait pu mener à bien l’entreprise de ce qui serait devenu son troisième oratorio.

Une Fête polonaise animée de 1876 et le dernier des douze numéros de l’Arbre de Noël de la même année, censé symboliser avec chaleur la Princesse Caroline, s’ajoutent au tableau des inspirations liées au pays de Chopin, avant une Mazurka brillante de 1850, bien cadencée. Deux paraphrases couronnent l’ensemble. L’Introduction et Polonaise de l’opéra I Puritani de Bellini (1840) est soulignée dans sa brillance romantique, un peu salonnarde ; dans la Polonaise d’Eugene Onegin de Tchaïkowsky (1879), Liszt combine la version originale du compositeur russe avec des figures spectaculaires de son cru.

Eclectique, mais non hétéroclite, ce Polonicum est abordé sous un angle original. Kamieniak fait vivre toutes ces pages avec souplesse, dans un contexte de sobre virtuosité et de lyrisme bienvenu. Le résultat ? Un apport original et intéressant à la discographie lisztienne.

Son : 8,5  Notice : 8  Répertoire : 9  Interprétation : 8

Jean Lacroix

 

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.