Triomphal BBC Symphony Orchestra sous la direction de Ryan Wigglesworth

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Parmi les programmations symphoniques, la saison du BBC Symphony Orchestra reste un modèle d’intelligence éditoriale et d’exploration des répertoires avec des programmes conçus avec pertinence et intérêt tant les œuvres se servent et se répondent. Ainsi, ce concert d’abonnement proposait un parcours des deux côtés de la Manche avec des oeuvres de Ravel, Murail, Franck et Vaughan Williams sous la direction du chef d’orchestre et compositeur Ryan Wigglesworth, récemment désigné à la direction musicale du BBC Scottish Symphony  Orchestra.

Le concert s’ouvre avec la Valses nobles et sentimentales de Maurice Ravel, l’une des partitions les plus exigeantes au niveau du style et des équilibres entre les pupitres. D’emblée Ryan Wigglesworth trouve le ton juste entre élan et transparence du tissu orchestral. Rompu à la musique française, le BBC Symphony Orchestra est naturellement excellent. 

Fidèle promoteur de la musique contemporaine, le BBC Symphony Orchestra est le co-commanditaire de l’Oeil du cyclone, Fantaisie-impromptu pour piano et orchestre du compositeur français Tristan Murail. D’un peu moins d’une demie-heure, cette œuvre se déploie avec une richesse des timbres fascinantes alors que la finesse de l'écriture est exemplaire. Au piano, François-Frédéric Guy habite cette partition dont il fait ressortir toute la plastique. Il est superbement accompagné par un orchestre  attentif et précis sous la direction de Ryan Wigglesworth. On tient ici l’une des plus belles oeuvres concertantes de ces dernières années. 

Il aura donc fallu 150 ans pour que la  Symphonie de Rédemption (1ère version de 1872) dit « Ancien morceau symphonique » de César Franck soit donnée au concert. En effet, au moment des répétitions de Rédemption en avril 1873, les musiciens considérèrent cette pièce comme trop difficile. Peu aidés par de nombreuses fautes de copies, ils refusèrent de la  jouer et Vincent d’Indy parvient même à convaincre Franck de composer une autre partition pour remplacer cette version.  Mais, le compositeur, convaincu de la valeur de cette version originale, conserva le manuscrit qu’il désigna lui-même comme "Ancien morceau symphonique”. Le musicologue Joël-Marie Fauquet, immense connaisseur, redécouvrit le manuscrit lors de ses recherches à la Bibliothèque Nationale de France. Il est fascinant, au titre d'être l’un des acteurs de l’édition de cette œuvre, de découvrir ce morceau au concert. A l’écoute, on comprend les difficultés qu’avaient à affronter les musiciens tant au niveau des harmoniques que des équilibres. La force de l’écriture de Franck est visionnaire tout comme son appropriation des esthétiques de son temps, on se croit parfois dans une “Vénusberg” wagnérienne par la sensualité poétique mélodique, avec un geste brillant berliozien par la fougue mais parfois avec une finesse presque mendelssohnienne. C’est assurément une merveille orchestrale et le public tout comme les professionnels du milieu musical présents à ce concert étaient émerveillés, d’autant plus que la lecture du chef est idéale dans sa construction et sa narration.

Ralph Vaughan Williams est célébré cette année avec les 150 ans de sa naissance qui voit les orchestres britanniques programmer ses grandes oeuvres. Composée en 1934, la  Symphonie nᵒ 4 en fa mineur étonne dans le corpus symphonique du compositeur : dramatique et tendue, elle présente des angles saillants et une sombre noirceur du tissu orchestral. Échos aux tensions des années 1930, elle semble annoncer les cataclysmes à venir. Au concert, l’oeuvre est un maelstrom instrumental chauffé à blanc qui galvanise. On comprend l'enthousiasme du compositeur William Walton qui y voyait la plus grande symphonie composée depuis Beethoven ! Ryan Wigglesworth parvient à construire un arc dramaturgique puissant et intense alors que le BBC Symphony Orchestra, champion de cette musique, excelle tant dans ses individualités que dans sa cohésion d’ensemble. 

On sort enthousiasmé de ce concert au programme porté par un chef formidable et un orchestre à l’avenant dont on ne peut saluer que la bravoure à se confronter avec tant de brio à des oeuvres aussi exigeantes ! 

Londres, Barbican Center, 13 mai 2022  

Pierre-Jean Tribot

Crédits photographiques : BBC / Mark Allan

  

 

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