Jours heureux au Festival Enescu de Bucarest (1) : la musique contemporaine

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Du 31 août au 22 septembre, le Festival Enescu de Bucarest offre un programme éblouissant. De par le prestige de ses interprètes, il faut le répéter car la manifestation reste relativement méconnue, le festival roumain s’affirme, au même titre que Lucerne ou Salzbourg, comme l’un des grands rendez-vous musicaux européens.

Dans la pléthorique programmation, la musique contemporaine tire naturellement son épingle du jeu. Trois orchestres roumains présentaient des concerts exclusivement consacrés à la musique du XXIe siècle. Première formation à entrer en scène : le Moldova Philharmonic Orchestra de Iasi. Sous la direction de l’inattendu chef américain Brad Lubman, l’orchestre de la deuxième ville roumaine proposait un programme d’obédience post-sérielle, tout au moins dont la figure de référence implicite serait Pierre Boulez. Interprété par Ilya Gringolts, le Concerto pour violon de Michael Jarrell ne fait hélas pas oublier le douloureux souvenir qu’a laissé Bérénice à l’Opéra de Paris. Intitulée « Paysages avec figures absentes », l’œuvre témoigne d’une disposition originale : les « figures absentes », ce sont ici les sièges vides des violons de l’orchestre. Malgré les habituelles qualités du compositeur suisse (écriture nerveuse et incisive de la partie soliste, impressionnantes scansions percussives), l’œuvre reste grise, systématique et laborieuse à écouter. Donné en introduction, Tempo 80 du roumain Câlin Ioachimescu peinait également à convaincre. D’une lenteur assumée, la pièce entrechoque des masses sonores, sans ajouter un surplus de personnalité musicale.

Le concert de l’Orchestre Philharmonique de Sibiu dirigé par Cristian Lupes présentait un programme résolument plus romantique. Elegia minacciosa de Dan Dediu témoigne une nouvelle fois du goût des compositeurs roumains pour une musique sanguine et sonore. Entamée comme un cinglant quatuor de Chostakovitch pour orchestre, l’œuvre fait entendre une curieuse citation de la Gnossienne de Satie. Le tout devient un commentaire superfétatoire et bruyant de la délicate pièce satienne. La présence de la vedette Francesco Tristano apportait ensuite l’émulation d’un concert plus généreusement rempli que les précédents. Le Island Nation Free Concerto du pianiste luxembourgeois ne cache pas ses ambitions « cross-over ». En dépit d’une orchestration sommaire, l’œuvre emprunte certes des chemins simples et attendus mais redoutablement efficaces dans leur finale.

Le concert de l’Orchestre Philharmonique Georges Enescu était assurément le plus beau. Emmenée par un brillant spécialiste de la musique d’aujourd’hui, Peter Rundel, la formation bucarestoise apparaissait tout d’abord comme la mieux sonnante. Mais c’est le programme plus « spectral » qui séduit et ravit ici le plus. Le Concerto pour flûte « L’ange avec une seule aile » de la compositrice Doina Rotaru   s’écoute comme un roman musical, à l’instar des œuvres de Sofia Goubaidulina. A l’aide d’une orchestration foisonnante, la pièce alterne des atmosphères très contrastées avec un remarquable métier. Le soliste Ion Bogdan Stefanescu incarne remarquablement cette partition de haut vol. Créé en 2012 par Pierre-Laurent Aimard, Le Désenchantement du Monde de Tristan Murail est un éblouissement. On retrouve dans cette partition les admirables harmonies du compositeur de Désintégrations avec de grands gestes dramatiques, presque lisztiens, magnifiquement incarnés par François-Frédéric Guy. Disons-le plus clairement, Le Désenchantement du monde est un véritable chef d’œuvre qui fait entrer la musique spectrale dans la grande tradition romantique. Moins abouti, Ur d’Ivan Fedele souffre d’une écriture datée et sénatoriale, en dépit d’effets sonores plaisants.

Le concert s’achevait enfin par une autre grande partition d’aujourd’hui : le Concerto pour violon d’Unsuk Chin. Brillamment emmenée par Viviane Hagner, la pièce apparaît comme le digne continuateur du concerto de Ligeti. Lyrique, proliférant, féérique, virtuose, lumineux, les adjectifs manquent pour qualifier cette œuvre majeure de notre époque, et surtout accessible à un très large public.

Laurent Vilarem

Bucarest, Festival Enescu, les 13,14 et 15 septembre 2019

Crédits photographiques : Astrid Ackermann

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