Un atelier romain qui s’ouvre bien des chemins

par

Officina Romana. Antonio Caldara (1670-1736) : Sinfonia avanti l’oratorio Il Martirio di Santa Caterina. Carlo Francesco Cesarini (ca 1666-1741) : Che far deggio, o stele, che? de Giunio Bruto ovvero La caduta de Tarquini. George Frideric Handel (1685-1759) : Crede l’uom ch’egli riposi et Sonates de Il Trionfo del Tempo e del Disinganno ; Naufragando va per l’onde de La Resurrezione ; Prélude de la Suite HWV 434 ; Andante et Allegro de la Sonate en trio opus 2 no 1 HWV 386. Arcangelo Corelli (1653-1713) : Preludio, Largo, Giga, Allegro de la Sonate opus 5 no 9 en la majeur. Alessandro Scarlatti (1660-1725) : Starò nel mio boschetto de Il giardino di rose ; Bella dama di nome Santa. Nicola Francesco Haym (1678-1729) : Sonate no 1 pour violoncelle et basse continue. Domenico Scarlatti (1685-1757) : Sonate K. 12. Carlo Vistoli, contreténor. Ensemble Le Stagioni. Paolo Zanzu, clavecin, pianoforte, orgue de chambre, direction. Livret en anglais, français, italien ; paroles des chants en italien et traduction bilingue. Juillet 2020. TT 68’17. Arcana A485

Le concept a voyagé. Cet été nous avons croisé son affiche à l’abbaye de Fontenay. « Une soirée imaginaire, une conversazione, réunion libérale d’esprits élevés [...] au début du XVIIIe siècle à Rome, dans les cours cardinalices et princières » : voici comment Paolo Zanzu plante son décor, qui mêle pages vocales et instrumentales. Raretés et inédits au menu. Tirée d’un manuscrit milanais, une Sonate de Nicola Francesco Haym, qui abandonna sa place de violoncelliste dans l’orchestre de Corelli pour rejoindre Londres. Ici délicieusement troussée par Marco Frezzato. Un air de l’opéra Giunio Bruto, dont la production avorta en raison de la disparition de l’Empereur auquel il était dédié. Le Starò nel mio boschetto extrait du superbe oratorio dont on ne comprend toujours pas pourquoi la discographie reste aussi déserte. La Sinfonia en exergue au Martyre de Sainte Catherine

Le Haendel latin est représenté par Il Trionfo del Tempo e del Disinganno, cet oratorio perpétuellement remanié qui l’accompagna toute sa carrière, de Rome à Covent Garden. L’envoûtante mélodie du Crede l’uom ch’egli riposi, en plage 3, se réinvite plus tard dans l’album, au gré de la Sonate en trio HWV 386 qui utilise le même matériau. Tout un réseau de rappels, miroirs et correspondances alimente la variété et l’intelligence du récital. Lequel n’est pas avare de surprises. Ainsi au clavecin le Prélude qui amorce la neuvième sonate de l’emblématique opera quinta corellien, ici joué non au violon mais à la flûte à bec, par Tiam Goudarzi, vif d’idées quitte à empresser un Largo vagabond. Autre clavier invité : le pianoforte mis au point par Bartolomeo Cristofori pour la Cour florentine des Médicis vers 1700, et que l’on trouve à l’inventaire des possessions du Cardinal Ottoboni. Paolo Zanzu touche une copie d’un des trois modèles conservés, celui de 1726. On l’entend en soliste dans un des Essercizi de Scarlatti. Son prolifique père referme le CD par une cantate de chambre où brille encore Carlo Vistoli. C’est le contreténor qui nous vaut le sommet de ce récital : peu courant d’entendre chanté par une voix d’homme le Naufragando va per l’onde dont l’équipage de Le Stagioni attise la frénésie. Le fragile vaisseau qui dérive dans les eaux déchaînées nous offre un éblouissant numéro d’acrobatie vocale, dardant un stile concitato des plus frénétiques.

Fièrement épaulé (David Lanthier et Rodrigo López Paz au hautbois, Tami Troman au premier violon, Manuel de Grange aux cordes pincées…), Paolo Zanzu ne laisse aucune ombre ternir son tableau. Virtuosité et relief (la contrebasse de Michele Zeoli), subtilité du continuo, un ton érudit et sensible : on pourrait juste remarquer que le programme (et ce qu’en dit le livret) manque d’un fil conducteur plus clairement exprimé. Au demeurant, il s’avère difficile de résumer et synthétiser le rayonnement musical de l’atelier romain à l’aube du Settecento : ce disque est fidèle à ce foisonnant laboratoire.

Son : 8 – Livret : 9 – Répertoire : 8-10 – Interprétation : 10

Christophe Steyne

 

 

 

 

 

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