Un baryton intelligent, Luca Pisaroni

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Dans le cadre de sa saison 2017-2018, le Grand-Théâtre de Genève propose cinq récitals de chant avec piano. Vendredi dernier, l’ouverture des feux a été proposée au jeune baryton-basse vénézuélien Luca Pisaroni qui s’est fait un nom sur toutes les grandes scènes internationales et dans les festivals d’importance, sans être jamais apparu à Genève. Mais c’est maintenant chose faite grâce à ce concert donné à l’Opéra des Nations avec ce remarquable accompagnateur qu’est le pianiste écossais Malcolm Martineau que l’on applaudit régulièrement ici.

Le programme est conçu intelligemment car il juxtapose des mélodies de Beethoven, Reichardt et Schubert basées sur des textes italiens dus essentiellement à Métastase et à Pétrarque. Dans la première page de Beethoven, La Partenza, se révèle un timbre clair qui tient davantage du baryton que de la basse ; et l’intonation peu sûre du début s’affermit rapidement grâce à un art du legato qui donne impétuosité à ces chants passionnées que sont Dimmi, ben mio et Beato quei che fido amor, alors qu’une note d’humour dépeint L’amante impaziente et que, dans un profond recueillement, est énoncé à fleur de lèvres In questa tomba oscura. Suivent six pages de Johann Friedrich Reichardt, un musicien allemand de la même époque (1752-1814), bien oublié aujourd’hui, mais qui a néanmoins composé une trentaine d’opéras et plus de… mille cinq cents lieder. Ecrite vers 1810, chaque mélodie provient du Canzoniere de Petrarca et se rattache tantôt à l’amour courtois, à l’envolée lyrique ou au tragique, notamment dans Or che il ciel e la terra e il vento tace ; et le n.134, Pace non trovo, revêt un caractère désabusé qu’un Liszt exacerbera trente ans plus tard en utilisant le même sonnet. La première partie de la soirée s’achève avec un Schubert insolite, mettant en musique les vers italiens de Metastasio en caricaturant l’opera buffa dans Il modo di prender moglie, osant les passaggi vocalisants dans L’incanto degli occhi et Il traditor deluso.

Après l’entracte, le chanteur et son pianiste se tournent vers le Schubert génie du lied en ne foulant les sentiers battus que pour un unique Der Einsame, développé pianissimo sur les subtilités de phrasé de l’accompagnement ; les neuf autres cultivent la finesse du trait dans Fischerweise et Lied des gefangenen Jägers, la narration tragique dans Schatzgräbers Begehr, Der Zwerg et Am Fenster. Toutefois, deux pages suscitent une attention particulière, Des Sängers Habe qui laisse sourdre un étrange désarroi et Totengräbers Heimweh, sinistre méditation sur une fin inexorable qu’il faut savoir affronter. Et au terme de ce programme si bien conçu, le public manifeste bruyamment son enthousiasme, ce qui lui vaut deux bis.            

Paul-André Demierre

Genève, Opéra des Nations, le 2 novembre 2018

Crédit photographique : Jiyang Chen

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