Festival Voix d’Automne à la Grange au Lac à Évian

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Inaugurée en mai 1993, la Grange au Lac, une architecture exceptionnelle faite uniquement de cèdre et de pin, est liée aux souvenirs de Mstislav Rostropovitch qui fut le premier directeur artistique de Rencontres Musicales d’Évian.

Pour sa 25e année, la salle propose désormais sa véritable saison musicale à l’année, assurée par Alexandre Hémardinquer (directeur exécutif) et Philippe Bernhard (directeur artistique).

La saison compte quelques grands axes : La Voix d’automne (26-29 octobre), Jazz à Évian (14-16 décembre), Printemps de la Grange (17-19 mai) et Rencontres musicales d’Évian (29 juin - 6 juillet). Entre ceux-ci, des concerts, essentiellement de musique de chambre, viennent ponctuer -en moyenne tous les quinze jours- la vie de ce haut lieu de villégiature.
Dans le cadre de La Voix d’automne, un nouveau festival d’art vocal, chanteurs et musiciens de l’Académie de l’Opéra National de Paris sont en résidence le temps d’un week-end pour faire revivre à Évian des productions de l’Amphithéâtre de l’Opéra Bastille sous d’égide de Stéphane Lissner. 

Nous avons assisté à trois des cinq concerts programmés.

Concert d’airs d’opéras de Mozart

Le samedi 27 octobre, pour un programme tout Mozart, la Grange est parée d’une atmosphère de gala malgré une triple annulation à cause du climat devenu soudain hivernal : Elena Tsallagova et Alexandre Duhamel, qui ont annoncé leur annulation quelques jours auparavant, sont remplacés par Sarah Shine (Pamina), Marianne Croux (Susanna) et Mikhail Timoshenko. Puis Angélique Boudeville a dû renoncer à sa participation le matin même et c’est Andreea Soare qui a assuré sa partie.
Indépendamment de ce changement de distribution, le concert montre un écart assez flagrant entre les « anciens » de l’Académie (du temps de l’Atelier Lyrique) -Mikhail Timoshenko, Andreea Soare et Cyrille Dubois- et les résidents actuels. Si Mikhail Timoshenko n’était pas tout à fait à l’aise au début de la soirée en Papageno dans Bei Männern… (La Flûte enchantée), il retrouve l’éclat de sa voix dans Bisogna aver corragio… (Don Giovanni) et Sento oddio… (Cosi fan tutte). Andreea Soare fait montre de cette noblesse qui est la sienne, conjuguée à un timbre de velours. Outre les quatuor, quintette et sextette, elle chante le Crudele ! Non mi dir… de Donna Anna et donne une grande leçon de chant, avec la projection idéale et la puissance de la voix qui symbolise parfaitement le sentiment exprimé par l'air. Quant à Cyrille Dubois, par son élégance habituelle et sa merveilleuse incarnation du rôle, il offre les meilleurs moments de la soirée. Ainsi, dans l’air de Don Ottavio Il moi tesoro intanto… (Don Giovanni), il offre des phrasés extrêmement soignés et, dans les ensembles, les dialogues sont harmonieux et il mêle tout naturellement sa voix aux autres.

Chez les artistes de l’Académie de cette année, les expériences scéniques et techniques vocales sont loin d’être homogènes. La soprano franco-belge Marianne Croux nous semble être pour le moment la meilleure de la nouvelle génération. Nombreux sont ceux l’ont suivie au mois de mai dernier lors du Concours International Reine Elisabeth où elle a remporté le prix du public. Sa présence scénique évidente, sa virtuosité, l’assurance de sa musicalité à la fois rigoureuse et libre font d’elle une brillante étoile montante de scènes européennes. La mezzo soprano égyptienne Farrah El Dibany se démarque aussi par son timbre chaleureux et charnel, et elle laisse entrevoir un réel talent dans la construction de ses personnages (Idamante et Dorabella). Alexander York, baryton natif de Chicago, dispose d'un beau timbre clair proche du ténor qui efface quelques problèmes de justesse. La soprano irlandaise Sarah Shine, Liubov Medvedeva (Russe, 20 ans et benjamine de l’Académie) et le ténor français Jean-François Marras ont tous beaucoup de marge de progression, soit dans la technique (émission de la voix, souffle, justesse…), soit dans les aspects musicaux (phrasé, maintien et développement de la tension dramatique, réalisation de paroles et d’expression…). On attend avec impatience les occasions de les réentendre.

L’orchestre des Pays de Savoie, dirigé par Nicolas Chalvin, accompagne les chanteurs avec beaucoup de soin. Au début du concert, les instruments sonnent encore très secs, ce qui accentue le sentiment d’un rendu brut, surtout quand surgissent de petits écarts de synchronisation entre les pupitres.

Brahms Liebeslieder-Walzer

Le lendemain, toujours à la Grange au Lac, Brahms est au rendez-vous. Sarah Shine -que nous avons entendue la veille, Jeanne Irland (mezzo-soprano, Etats-Unis, 29 ans), Maciej Kwasnikowski (ténor, Pologne, 25 ans), Danylo Matviienko (baryton, Ukraine, 28 ans), les deux pianistes Edward Liddall et Remi Chaulet et l’altiste Beatriz Ortiz Romero chantent et interprètent un florilège de lieder avant de s’attaquer à Lieberslieder-Walzer op. 52. Entre les deux parties et en guise de l’entracte, les pianistes, tous deux excellents accompagnateurs, jouent à quatre mains des extraits du Souvenir de la Russie op. 151 sur un Fazzioli de concert .

De manière générale, ici aussi, les interprétations vocales sont inégales : s’il y a des moments où on perçoit des éclats de talents révélateurs d'un potentiel prometteur, on constate aussi qu’ils ne maîtrisent pas encore certains aspects tels le contrôle de la situation de concert et l’harmonie avec ceux qui n’expriment pas les mêmes caractères musicaux . L’exemple le plus flagrant nous vient des Zwei Gesänge op. 51 avec alto. Certes, l’altiste Beatriz Ortiz Romero a un sérieux problème de justesse et est très peu inspirée ce soir, mais c'est une excellente base de travail pour la chanteuse qui dispose d'une très belle voix large (on la croirait même alto par moments) et d'une grande présence scénique qui éclipse un peu la soprano. Côté masculin, Danylo Matviienko montre sa maturité, renforcée par la douceur du timbre et une belle émission sonore, fruits de ses expériences scéniques. Maciej Kwasnikowski manque un peu d’affirmation et, chez lui, intention expressive et technique ne font pas encore bon ménage.

La Musique et Pouchkine

Dans la matinée du dimanche, on exporte un concert pédagogique parisien au Théâtre de Casino, face au lac Léman. Le pianiste français Benjamin Laurent explique de façon très abordable ce que représente Pouchkine dans la musique, en introduisant de temps à autre des éléments de la composition musicale. Ainsi, il part de ce que sont une mélodie et un air d'opéra pour aller à la découverte des moyens utilisés par Rachmaninov pour évoquer musicalement un rêve ou un souvenir dans la mélodie Ne chante pas la belle, avec quelques analyses de la partition. Le baryton franco-ukrainien Vladimir Kapshuk « illustre » merveilleusement les commentaires du pianiste et vice versa. Lumière et accessoires facilitent et renforcent la compréhension chez les nombreux petits spectateurs. C’est l'occasion aussi de les initier à la langue russe par la voie du jeu : combien de fois tel mot précis apparaît-il dans la mélodie ? Une formule plaisante pour apprendre en une heure des clés qui permettront d’apprécier la musique. Et cela aurait été encore plus attrayant si Vladimir Kapshuk avait davantage participé à l’explication…

Photos : Concerts © J’Adore Ce Que Vous Faites ; Grange au Lac © Matthieu Joffres

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