Un coffret de 25 CD chez Naxos pour la fine fleur de la chanson anglaise

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English Song Collection. Mélodies, cycles de chansons et airs populaires de William Alwyn (1905-1985), Benjamin Britten (1913-1976), George Butterworth (1885-1916), Jonathan Dove (°1959), Gerald Finzi (1901-1956), Ivor Gurney (1890-1937), Gustav Holst (1874-1934), John Ireland (1879-1962), Liza Lehmann (1862-1918), Roger Quilter (1877-1953), Arthur Somervell (1863-1937), Ralph Vaughan Williams (1872-1958), Ian Venables (°1955), William Walton (1902-1983) et Peter Warlock (1894-1930). Felicity Lott, Margaret Feaviour et Janice Watson, sopranos ; Susan Bickley, mezzo-soprano ; John Mark Ainsley, Thomas Allen, Martyn Hill, Philip Langridge et Anthony Rolfe Johnson, ténors ; Gérard Finley, Simon Keenlyside, Roderick Williams et David Wilson, barytons ; Osian Ellis, harpe ; Steuart Bedford, Iain Burnside, Graham Johnson et David Owen Norris, piano ; BBC Singers ; Sacconi Quartet ; Duke Quartet ; Northern Sinfonietta, etc. 1995-2014. Livret en anglais, sans textes des chants. Environ 25 heures de musique. Un coffret Naxos de 25 CD 8.502507. 

L’objet est joliment présenté et incite déjà à une mise en condition poétique avec, pour chaque couverture de CD, une belle photographie de nature en couleurs : fleurs, forêts, étangs, coucher de soleil, brumes, collines, grands espaces boisés, paysages champêtres ou marins ; des oiseaux de plusieurs espèces viennent s’ajouter de temps à autre à des décors enchanteurs. Ce vaste panorama couvre la période du chant anglais qui démarre à la fin du XIXe siècle, couvre le XXe et s’achève en 2010. Il regroupe des enregistrements effectués entre 1995 et 2014, disponibles séparément, notamment chez Collins ; mais la réunion en un « pavé » est une initiative des plus judicieuses. Elle permet de se plonger dans un univers lyrique et instrumental riche en sensations diverses, en finesse ou en émotions fortes, de mettre en évidence des compositeurs anglais de tout premier plan et de solliciter des interprètes britanniques qui le sont tout autant et se produisent « dans leur arbre généalogique ». Au coffret est joint un copieux livret d’une centaine de pages en anglais, les textes de présentation étant confiés à diverses plumes. On signalera une série de premières discographiques mondiales, au moment des enregistrements, pour les contemporains Ian Venables (un cycle et deux pièces) et Jonathan Dove (trois cycles), ainsi que pour William Alwyn, Ivor Gurney, Roger Quilter ou Benjamin Britten. Dans les trois premiers cas, il s’agit de pages de dimensions réduites ; pour Britten, d’une dizaine d’arrangements de Folk Song

Il y a trois manières d’aller à la découverte de cet ensemble : la première consiste à suivre le programme tel quel, qui ne tient compte ni du moment de l’apparition des compositeurs dans l’histoire de la musique anglaise, ni d’une logique en fonction des moments d’enregistrements. Une autre manière, plus encyclopédique mais moins heureuse, peut inciter à adopter l’ordre alphabétique des noms. En ce qui nous concerne, nous avons préféré modifier l’ordre des CD en optant pour la chronologie pure et simple, en fonction de la date de naissance des musiciens. Quel que soit le modèle adopté, on constate que Britten se taille la part du lion avec sept CD (presque le tiers du coffret), suivi de Finzi (trois CD), de Quilter et de Vaughan Williams (deux CD chacun) ; les onze autres compositeurs bénéficient d’un seul disque.   

Dans l’affiche ainsi établie pour notre confort d’écoute, c’est une femme, la seule présente dans le coffret, qui ouvre la série (CD n° 8) : Liza Lehmann, née en 1862, était une soprano londonienne qui devint l’épouse du compositeur Herbert Bedford (1867-1945). En raison de problèmes vocaux qui ont interrompu sa carrière, elle s’orienta vers la composition, qui l’attirait depuis l’enfance. Une trentaine de ses pièces lyriques, brèves pour la plupart, sont mises en évidence, dont des extraits de The Daisy Chain de 1893 sur des textes de Robert Louis Stevenson, et deux airs inspirés d’Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll. Le tout se déroule dans un climat charmeur et délicieusement salonard. La soprano Janice Watson est la fine interprète de ces airs délicats que servent aussi une mezzo, un ténor et un baryton. On notera que Steuart Bedford (°1939), qui est au piano, est un descendant direct de Liza Lehmann. On retrouvera ce partenaire distingué pour d’autres pages de la collection. Voilà un très joli CD pour se mettre en condition. On poursuit (CD n° 2) avec Arthur Somervell, né en 1863, qui étudia avec Charles Villiers Stanford, puis avec Hubert Parry après un passage par Berlin. Cet auteur de messes et de cantates, dont on savoure l’élégance dans de courtes pages, a été le premier à mettre en musique A Shropshire Lad (1904) de A.E. Housman, un recueil de poèmes apprécié par les jeunes, notamment par les soldats dans les tranchées de la Première Guerre mondiale. Le baryton Christopher Maltman, au timbre noble, distille ces vers qui parlent souvent d’outre-tombe et glorifient ceux qui sont morts pour leur pays. On notera aussi les Songs of Innocence de 1889, d’après William Blake, un hommage à l’enfance ; c’est la mezzo-soprano Catherine Wyn-Rogers, voix éthérée, qui officie. Au piano, Graham Johnson (°1950), qui a été le partenaire de Victoria de Los Angeles, Elisabeth Schwarzkopf ou Matthias Goerne, apporte l’éclairage raffiné que l’on retrouvera avec lui pour Britten, Quilter ou Walton.

On ne présente plus la figure fondamentale de la musique anglaise qu’est Ralph Vaughan Williams, né en 1872, et dont la longue existence a été marquée par de multiples chefs-d’œuvre, dont neuf symphonies magnifiques, et une production vocale abondante. Deux CD lui sont consacrés. Le premier (n° 3) couvre près de soixante années de création, de 1896 à 1956, avec une série d’airs de courte durée auxquels vient s’ajouter le cycle On Wenlock Edge de 1909, tiré lui aussi d’A Shropshire Lad de Housman, dont six poèmes sont repris. Destiné à un ténor, un piano et un quatuor à cordes, gravé ici sous cette forme, ce cycle a été remanié par Vaughan Williams pour ténor et orchestre une dizaine d’années plus tard. Antony Rolf Johnson, Graham Jones et le Duke Quartet traduisent toute l’émouvante expressivité qui règne en maître. On notera aussi la présence des 5 Mystical Songs de 1911 sur des textes de Georges Herbert ; ils sont confiés au baryton Simon Keenlyside, qui en exalte l’humble dévotion spirituelle. Un autre CD (n° 15) propose les Songs of Travel (1901-1904) d’après des poèmes de Robert Louis Stevenson, qui magnifient les voyages et l’aventure. Neuf moments admirables qui soulignent l’amour de la nature et la bienveillance que le poète et le compositeur lui accordent, un aspect bien mis en évidence par le baryton Roderick Williams et Iain Burnside au piano. Sur le même CD, par les mêmes interprètes, The House of Life (1903), cycle de six sonnets d’après le peintre-poète Dante Gabriel Rossetti, évoque avec sensualité le développement d’une relation intime sur le plan physique et intellectuel.

De Gustav Holst, dont l’éblouissement des sept mouvements symphoniques des Planètes occulte d’autres trésors, on découvre (CD 6) les Vedic Hymns (1907-08), dont le baryton Christopher Maltman souligne l’influence du sanskrit et l’attrait pour l’Inde, civilisation présente dans plusieurs partitions de Holst. Une kyrielle de courtes pages proposent de Roger Quilter (CD 5 et 12) un florilège délicat, léger ou exubérant, qui s’inspire de la tradition du XVe au XVIIe siècles anglais ou de poèmes irlandais, que se partagent les sopranos Amanda Pitt et Lisa Milne et le ténor Anthony Rolfe Johnson, avec Graham Johnson et David Owen Norris au piano. De John Ireland (CD 19), l’un des professeurs de Britten, on appréciera Marigold (1913) où l’on retrouve l’univers ésotérique de Rossetti, et les 5 Poems by Thomas Hardy qui s’interrogent de façon ambigüe sur la relation amoureuse ; on baigne souvent dans un climat magique et semi-mystique. Le baryton Roderick Williams y fait à nouveau merveille, avec Iain Burnside au piano, les mêmes partenaires servant ensuite les passions élégiaques de George Butterworth (CD 21), tué pendant la guerre en 1916, à l’âge de trente et un ans. Ses poignants 6 Songs from A Shropshire Lad de 1911 ont un caractère prémonitoire. Ivor Gurney, mélodiste de haut niveau, a connu lui aussi un sort tragique : gazé sur le front, il fut interné pendant quinze ans en institut psychiatrique où il mourut. Ce brillant élève de Stanford souffrait en plus de bipolarité et de tuberculose ; la désolation et la douleur qui ont marqué son existence, et l’ironie imprègnent la trentaine de courtes pages que la mezzo-soprano Susan Bickley (avec l’impeccable Iain Burnside) distille avec une limpidité émouvante. C’est l’un des sommets de ce coffret (CD 20).

Peter Warlock (pseudonyme de Philip Helsetine), qui se suicida en 1930 à l’âge de 36 ans, était attiré par l’occultisme et l’astrologie. Ce proche de Delius et ami de l’écrivain D.H. Lawrence, qui en fera un personnage de son roman Women in Love, a composé le cycle The Curlew (1920-22) d’après le poète irlandais W.B. Yeats, dans un contexte dramatique de tristesse infinie (CD 4). Le Courlis, chanté par le ténor Adrian Thomson, pleure la perte de l’amour et est prévu avec une flûte, un cor anglais et un quatuor à cordes. Cette œuvre admirable est suivie par un programme plus léger, de style populaire. L’importance de Gerald Finzi explique la présence de trois CD (13, 16 et 17). Son inspiration souvent pastorale trouve régulièrement sa source chez Thomas Hardy auquel il a consacré plusieurs cycles ici regroupés. Finzi admirait l’auteur de Tess d’Urberville qui écrivait des romans pour vivre, mais se considérait d’abord comme un poète. La passion, l’affliction, le caractère éphémère de la vie, l’importance des rêves et le fatalisme ont trouvé un écho dans les penchants spiritualistes de Finzi. On s’en convaincra avec les sept cycles gravés ici, en particulier dans I said to Love (1928-1956) dont la gestation a été longue, Finzi composant lentement, ou le vaste Earth and Air and Rain (1928-1932) au sein duquel un dialogue entre le poète et une étoile revêt un caractère d’aspiration à l’éternité. Cette partition magique est dévolue au ténor John Mark Ainsley avec Iain Burnside au piano, tandis que Roderick Williams se charge des autres volets consacrés à la musique sublimement transparente de Finzi.

Un récital William Walton (CD 1) ouvre la porte aux voix de Felicity Lott et de Martyn Hill. Il couvre un panorama des années 1918 à 1962 et met en évidence l’attrait du compositeur pour le lyrisme de l’époque élisabéthaine (Anon in Love) pour ténor et guitare, écrit primitivement pour Peter Pears et Julian Bream, ou pour la poésie d’Algerson Charles Swinburne (The Winds). On retrouve Graham Johnson avec Felicity Lott dans des extraits décoiffants de Façade. Quant à William Alwyn, il a composé quatre cycles pour baryton ou soprano et piano qui forment l’affiche du CD n° 18. Il dédie son inspiration à la force des paysages et à leur mouvance dans des chants tourmentés, nostalgiques ou nocturnes, tous écrits la soixantaine venue. Les Seascapes de 1980 sont prévus pour soprano (Elin Manahan Thomas), flûte à bec (John Turner) et piano. Au clavier, l’infatigable Iain Burnside se charge de tisser un séduisant tapis de notes pour le baryton Jeremy Huw Williams, chargé de deux cycles dont les énigmatiques Mirages de 1970. 

On fait ensuite un grand saut dans le temps pour écouter (CD 22) des chants de Ian Venables, né en 1955, cinquante ans après Alwyn. Il s’agit d’un ensemble de courtes mélodies d’une grande fraîcheur, mais aussi de deux cycles au sein desquels l’amour tient une place fondamentale, entre autres dans les Chants vénitiens de 1995. L’atmosphère élégiaque domine le parcours de ce postromantique défendu avec finesse par le ténor Andrew Kennedy. C’est Jonathan Dove, né en 1959, qui met un terme à cette collection, à travers trois premières gravures mondiales. Il est l’auteur d’opéras : il a raconté dans Flight (1998) l’histoire d’un réfugié iranien qui a vécu pendant dix-huit ans dans l’aéroport Charles de Gaulle. Parmi les quatre cycles enregistrés figure Out of Winter, écrit en collaboration avec le ténor Robert Tear ; c’est une réponse aux Winter Words de Thomas Hardy. Federico Garcia Lorca, le poète indien Vikram Seth et des allusions à la Tempête de Shakespeare (pour voix seule) nourrissent le contenu des autres cycles, eux aussi postromantiques.

Nous n’avons pas oublié Benjamin Britten, dont sept CD rappellent l’abondante production et dont un large panorama s’étalant tout au long de sa carrière est ici disponible. Trois disques proposent des Folk Song Arrangements (CD 10, 11 et 14), une spécialité dans laquelle le compositeur brille, qu’il s’agisse de chants des îles britanniques des décennies 1940 et 1950, ou d’une inspiration française ou même allemande. L’interprétation en est magistrale et permet de retrouver les voix précieuses de Felicity Lott, de Philip Langridge ou de Thomas Allen, et le toucher pianistique si évident de Graham Johnson ou David Owen Norris. Une guitare, un violoncelle, une harpe (celle d’Osian Ellis) complètent l’instrumentation de quelques pièces. On note la brève présence des BBC Singers et des arrangements orchestraux pris en charge par le Northern Sinfonia que dirige avec doigté Steuart Bedford. Plusieurs cycles sont présents. The Holy Sonnets of John Donne (1945), les 7 Sonnets of Michelangelo (1940) et les Winter Words (1953) sont regroupés (CD 7). Si les premiers évoquent la dualité entre le charnel et le spirituel avec l’espoir du salut malgré la corruption de l’âme humaine, le cycle de Michel-Ange, premier des sept composés pour Peter Pears, le compagnon d’une vie, est voué à l’amour, léger et heureux, dans un lyrisme permanent aux multiples envolées. Changement d’atmosphère avec les huit sombres mélodies des Winter Words d’après Thomas Hardy, où la mort pèse lourdement. Chez Britten, la mise en valeur de la poésie des mots est parfaite, ce qu’a bien compris Philip Langridge dont le partenariat avec Steuart Bedford est exemplaire pour les trois cycles. Les mêmes interprètes sont sollicités pour l’intensité dramatique et l’inspiration religieuse qui habitent les Canticles I à V (CD 9) écrits entre 1947 et 1974, toujours pour Peter Pears. Une mezzosoprano (Jean Rigby), un baryton (Gerald Finley) un contreténor (Derek Lee Ragin) et la harpe enchanteresse d’Osian Ellis complètent ces pages de mysticisme dépouillé. On trouve encore les Songs and Proverbs of William Blake de 1965 (CD 23) au sein desquels la cruauté et la noirceur ne sont pas absentes et nécessitent un partenariat accompli, Britten ayant laissé aux interprètes une liberté qui exige une entente sensible. Roderick Williams et Iain Burnside ont très bien compris cette nécessité. Un dernier éventail Britten (CD 25) regroupe une série de de brèves mélodies variées ainsi que Who Are These Children ? (1969), sur le thème de l’enfance et des horreurs de la guerre auxquelles ils sont confrontés, et l’essentiel A Birthday Hansel (1975), dernier cycle destiné à Pears, dans une atmosphère légère de musique ancienne écossaise (une commande de la Reine Elizabeth pour les 75 ans de sa mère), où la harpe (cette fois de Lucy Wakeford) déploie ses arpèges. Le ténor Mark Wilde et le pianiste David Owen Norris apportent à ces pages leur vibrante ferveur. 

Ce coffret aux multiples trésors musicaux est une somme des plus remarquables. Beaucoup d’œuvres sont essentielles et dressent un panorama convaincant du chant anglais sous de multiples formes ainsi que des merveilles qu’il a engendrées. Quant aux interprètes, ils assurent tous leur partie avec ce que l’on appellera la nécessaire évidence. Les amateurs de ce type de répertoire seront largement comblés. 

Son : 8,5  Livret : 10  Répertoire : entre 8 et 10  Interprétation : 9

Jean Lacroix 

 

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