Le violon voyageur d’Hélène Collerette 

par

Maurice Ravel (1875-1937) : Tzigane ; Béla Bartók (1881-1945) : Sonate et Danses populaires roumaines ; Bruno Coulais (1954) : Mosaïque ; György Kurtág (1926) : Huit duos pour violon et cymbalum. Hélène Collerette, violon ;  Cyril Dupuy et Ludovit Kovac : cymbalum. 2021-Texte de présentation en français et anglais - 66’46’’ Signature/Radio France- SIG 11117

C’est à un beau voyage vers l’Europe centrale (réelle ou imaginaire) que nous invite Hélène Collerette, supersoliste de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, qui chemine soit seule soit en compagnie d’un ou plusieurs cymbalistes. 

Bénéficiant d’un superbe Guarnerius de 1732, la violoniste canadienne ne manque pas de qualités, à commencer par une splendide sonorité charnue et profonde. Ses interprétations sont invariablement marquées par une belle franchise, sans rien de racoleur ni de chichiteux, même si -comme si souvent chez les violonistes actuels- on aimerait de temps en temps davantage de finesse et de subtilité tant dans le contrôle du son que de l’agogique pour nuancer une approche généralement saine, solaire et dynamique.

En tout cas, elle ne manque pas d’audace (ou même de bon sens) en proposant un Tzigane de Ravel accompagné non au rare luthéal envisagé par le compositeur ni au piano utilisé d’ordinaire, mais par deux cymbalums qui font beaucoup pour introduire une ambiance vraiment tzigane  et apportent ainsi une touche d’authenticité imprévue à cette musique très « second degré ».

C’est justement ce second degré qui brille par son absence dans l’introduction de Tzigane qu’Hélène Collerette aborde avec franchise, beaucoup d’autorité et une ample sonorité. Malheureusement, cette approche épique d’une violoniste qui passe en force manque de l'élégance et de la fine ironie qu’on aimerait ici entendre. Les choses s’améliorent nettement au moment de l’entrée des 2 cymbalums, où le son du violon est judicieusement allégé. Les pizzicati sur fond de cymbalums sont splendides et les harmoniques très pures. Conclusion : si l’interprète mord à pleines dents dans la musique et nous gratifie d’un jeu franc, sincère et techniquement très sûr, elle fait complètement l’impasse sur la subtilité et le caractère ambigu de la musique.

Collerette s’attaque ensuite à la Sonate pour violon seul de Bartók, chef-d’œuvre qu’on entend bien trop peu dans nos salles de concerts et qui la trouve à son meilleur.

La violoniste aborde à bras-le-corps et d’un geste ample la Chaconne qui ouvre l’oeuvre. C’est une véritable cathédrale qu’elle construit. On pourrait par moments espérer plus subtil, mais pas plus sincère.

La Fugue est abordée avec rigueur, dans une approche invariablement cohérente qui fait sentir cette lutte de l’esprit contre la matière telle qu’on la retrouve dans les derniers quatuors de Beethoven.

Dans la sublime Melodia, Collerette opte pour un son riche et charnu et nous livre une interprétation positive, optimiste et d’une émotion contrôlée, bien loin de la douloureuse et prenante confidence que nous offrait en son temps un André Gertler. Le Presto final allie précision et passion, la violoniste canadienne percevant bien le caractère dansant de la musique et faisant preuves de réflexes félins comme d’une justesse impeccable.

On quitte un instant l’Europe centrale pour un retour en France et Mosaïque de Bruno Coulais. Dans cette suite en sept parties (baptisées Mosaïque 1 à 7), le compositeur -violoniste lui-même- alterne un beau lyrisme sobre avec des passages de frénésie rythmique, un peu à la manière de Hindemith. Le violon d’Hélène Collerette est ici plutôt marmoréen que tendre.

Dans les Huit duos pour violon et cymbalum composés en1961 par Kurtág, la complicité entre Cyril Dupuy et la violoniste est remarquable. Dans ces brèves et fulgurantes pièces, Collerette réagit au quart de tour et fait preuve de réflexes acérés. On remarquera un usage intéressant du vibrato lent dans le septième duo, Adagio.

Le récital se termine sur les six Danses populaires roumaines de Bartók dans leur version violon et piano (remplacé ici par un cymbalum).

Les premières impressions sont mitigées : la « Danse du bâton » initiale voit l’interprète faire preuve d’un jeu trop appuyé, surchargé d’intentions et de vibrato dans un grand geste de concertiste. La « Danse du châle » qui suit manque elle aussi de simplicité. Les choses s’améliorent dans  la troisième pièce, « Sur place », avec de très pures harmoniques alors que la musique avance d’un pas mesuré. La « Danse de Bucsum » qui vient en quatrième position souffre d’une approche assez aguicheuse et d’un vibrato décidément trop « grand violon ». 

Après une « Polka » enthousiaste, Hélène Collerette termine le cycle en beauté, trouvant dans la danse finale un ton juste de violoneux truculent. 

Son 9 - Livret 8 - Répertoire 10 - Interprétation 9 (Sonate Bartók, Coulais, Kurtág)/7 (Tzigane, Danses roumaines).

Patrice Lieberman

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