Un deuxième album pour saluer l’œuvre orchestrale de Hans Rott

par

Hans Rott (1858-1884) : Symphonie n° 1 en mi majeur ; Symphonie pour cordes en la bémol majeur ; Mouvement symphonique en mi majeur. Gürzenich Orchester Köln, direction Christopher Ward. 2020. Livret en allemand et en anglais. 77.10. Capriccio C5414.

Voici le deuxième album consacré par le label Capriccio à l’œuvre orchestrale du compositeur autrichien Hans Rott, décédé trop jeune dans un asile d’aliénés. Ce Viennois au destin tragique est le fils d’un comédien et d’une comédienne-chanteuse ; le décès prématuré de ses parents (mère en 1872, père en 1876) oblige le jeune homme à travailler comme employé de bureau avant de pouvoir occuper un poste d’organiste au couvent des Piaristes, d’où il sera renvoyé sous la fausse accusation de vol de livres. Au Conservatoire, où il a pour compagnons Hugo Wolf et Gustav Mahler, avec lequel il partage de temps à autre sa chambre, il apprend le piano, l’harmonie et la composition (avec Franz Krenn, qui sera aussi le professeur de Janacek et von Zemlinsky). Dans le domaine de l’orgue, il étudie avec Anton Bruckner, qui le tient en haute estime. Pour son malheur, pourrait-on avancer ? La rivalité entre Bruckner et Brahms n’a en tout cas pas joué en sa faveur. Hans Rott commence à composer : musique orchestrale, musique de chambre, musique vocale, lieder. Il écrit une symphonie entre 1878 et 1880. Il la joue au piano devant Hans Richter, mais celui-ci refuse de la diriger. L’avis de Brahms est tout aussi négatif : il considère que la partition de Rott ne comporte que des banalités, ce qui affecte profondément le jeune homme, nerveusement fragile. Lors d’un déplacement en train vers Mulhouse où il espère décrocher un poste musical, Rott est pris d’une crise de démence. Il ne supporte pas qu’un voyageur fume dans son compartiment, le menace d’un révolver et hurle que « Brahms a bourré le train de dynamite ». Interné, il fait plusieurs tentatives de suicide, souffre de diverses maladies et n’est plus capable de composer. Il ne sortira plus de l’asile, où Il meurt quatre ans plus tard, sans doute de tuberculose, deux mois avant ses 26 ans. Un premier album Capriccio (C5408), signé par les mêmes interprètes, proposait plusieurs pages orchestrales intéressantes, dont une Ouverture Hamlet, un Prélude à Jules César, projet d’opéra non mené à bien, un Prélude pastoral et des Suites pour orchestre. Cette fois, la Symphonie pour cordes de 1874-1875 est couplée avec un Mouvement symphonique de 1878 et avec la grandiose Symphonie n° 1 de 1878-1880, révélée par l’Orchestre Philharmonique de Cincinnati placé en 1989 sous la direction de Gerhard Samuel (Hyperion). 

 

Hans Rott n’a que seize ans lorsqu’il se met à l’écriture d’une Symphonie à cordes en trois mouvements, dans un style dérivé de Mendelssohn, plein de mélancolie et de romantisme lyrique, qui fait aussi penser à la musique de chambre de Schubert. Rott y fait la démonstration d’une veine mélodique harmonieuse, dans une alternance séduisante de motifs sombres ou lumineux, non dépourvus de vitalité et de finesse. Le Mouvement symphonique, travaillé dès ses vingt ans, est la mouture préliminaire du premier mouvement, Alla breve, de la future Symphonie n° 1. A cette époque, Rott prépare l’examen final au Conservatoire de Vienne. L’influence wagnérienne, qui s’accentuera dans la partition définitive, se fait déjà entendre, mais on y découvre aussi des accents brucknériens, très présents tout au long de la future symphonie. L’écoute révèle un véritable tempérament symphonique, dans un contexte d’emphase et de grandeur maîtrisées. Ce premier jet ne fut pas bien accueilli par le jury lors de la présentation au concours, ce qui déclencha la fureur de Bruckner.

 

La Symphonie n° 1 est une grande aventure symphonique, aux dimensions grandioses et à l’inspiration exaltante. Nous laisserons ici de côté les considérations qui concernent le débat sur les similitudes du Scherzo avec le second mouvement de la Symphonie n° 1 de Mahler, composée huit ans plus tard, ainsi qu’avec des réminiscences de passages des Symphonies 2 et 5 du même Mahler ; nous renvoyons pour cela à la notice. Ce qui est certain, c’est que Hans Rott prend pour modèles symphoniques essentiels Bruckner et Wagner, et Brahms à un moindre degré. Du premier, son professeur d’orgue, Rott a reçu maints conseils en cours d’écriture. L’influence de la Symphonie n° 4 « Romantique » se fait ressentir dans le caractère majestueux, avec une orchestration haute en couleurs, au cours de laquelle cors, trompettes, trombones et percussion sont bien sollicités. Il faut aussi en souligner les aspects métaphysiques et l’expression hymnique qui provient de l’idée de la rédemption wagnérienne. Dès l’Alla Breve, cette imprégnation donne à l’œuvre entière l’élan majestueux qui la caractérise. Les trois autres mouvements ont été achevés en 1880. L’Adagio est un pur produit romantique, à la fois poétique et dramatique, avec des rappels du thème de l’Alla breve, dans un paysage serein. Le Scherzo, Frisch und Lebhaft, déploie des sonorités aux couleurs vives ; la sérénité se transforme en une sorte d’allégresse traversée de crescendos dansants et de moments de rêverie. A vingt ans, le jeune Rott possède déjà une réelle science musicale qui entraîne la conviction. Le dernier mouvement, Sehr langsam - Belebt, qui dépasse les vingt minutes, s’ouvre dans un geste solennel et utilise des thèmes nouveaux et des motifs des trois premières parties de l’œuvre. Rott installe peu à peu une architecture qui va conduire à l’élaboration d’un crescendo ascensionnel, dont le côté démonstratif est bridé par une profondeur lyrique qui, lorsque l’on connaît le destin qui attend le jeune compositeur dans peu de temps, prend rétrospectivement une dimension d’adieu à la vie. 

Hans Rott a fait l’objet d’un émouvant commentaire de Mahler que Natalie Bauer-Lechner rapporte dans ses Souvenirs (L’Harmattan, Paris-Montréal, 1998, p. 206).   A cette amie intime, Mahler confie à l’été 1900 : On ne peut estimer ce que la musique a perdu avec lui. Son génie prend déjà un tel essor dans cette Première Symphonie – qu’il a écrite alors qu’il était un jeune homme de vingt ans – qu’elle fait de lui, sans exagération, le fondateur de la symphonie nouvelle telle que je la comprends. Mahler ajoute, un peu plus loin : Oui, il est tellement apparenté à moi-même que nous sommes lui et moi comme deux fruits du même arbre, engendrés par le même sol, nourris du même air. J’aurais eu une infinité de choses en commun avec lui, et nous aurions peut-être épuisé ensemble, en quelque sorte, le contenu de cette nouvelle ère qui s’annonçait pour la musique. Peut-on imaginer plus bel éloge ? L’hommage rendu en empruntant l’un ou l’autre thème de Rott pour ses symphonies n’était-il pas une sorte de devoir posthume de Mahler pour son ancien condisciple ? 

Cette partition fascinante a été bien servie par le disque depuis la création que l’on doit à Gerhard Samuel. Aujourd’hui, au-delà de son acte de pionnier, ce dernier apparaît un peu en retrait. Parmi les enregistrements qui lui ont succédé, on relève notamment Constantin Trinks et le Mozarteum de Salzbourg (Profil Hännsler), Leif Segerstam et l’Orchestre Symphonique de Norköpping (BIS), Sebastian Weigle avec le Munchner Rundfunk (Arte Nova), Paavo Järvi avec la Radio de Francfort… Chez Capriccio, la baguette est confiée au Londonien Christopher Ward (°1980), qui dirige régulièrement les phalanges allemandes. Avec le Gürzenich de Cologne, ce chef anglais révèle de réelles affinités avec un programme cohérent dont il souligne idéalement la grandeur comme la profondeur, dans des tempi soutenus. Ce superbe enregistrement de studio, réalisé en janvier 2020, vient se situer tout en haut de la discographie, aux côtés de la lecture enflammée de Paavo Järvi.

Son : 9    Livret : 9    Répertoire : 9    Interprétation : 9

Jean Lacroix   

 

   

 

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