Un hommage à la musique de chambre de Frank Martin, disparu il y a 50 ans 

par

Frank Martin (1890-1974) : Quintette pour piano et cordes ; Quatuor à cordes ; Pavane couleur du temps, pour quintette à cordes. Quatuor Terpsycordes ; Fabrizio Chiovetta, piano ; François Grin, violoncelle. 2023. Notice en français, en anglais et en allemand. 52’ 22’’. Claves 50-3081. 

Le cinquantenaire de la disparition du compositeur suisse Frank Martin, né à Genève, ne sera sans doute guère commémoré en dehors de son pays en cette année riche en autres anniversaires de créateurs plus renommés. Son catalogue imposant et de qualité mériterait cependant de plus fréquentes présences sur les affiches de nos programmes. Ce créateur étudia en privé, entre 1906 et 1914, avec son compatriote Joseph Lauber (1864-1952), puis avec Hans Huber (1852-1921) et Frederic Klose (1862-1942) ; ce fut ensuite un séjour à Rome, puis à Paris, où il demeura de 1923 à 1926, avant un retour en Suisse où il enseigna la méthode Jaques-Dalcroze. Il finira par s’installer en Hollande après la Seconde Guerre mondiale, tout en étant professeur à Cologne (Stockhausen sera de ses élèves). Il fut un ami proche de deux chefs d’orchestre de renom : Ernest Ansermet (1883-1969) et Victor Desarzens (1908-1986), qui créèrent plusieurs de ses œuvres. Le présent album propose une découverte de pages essentielles de sa musique de chambre.

L’auteur de la notice, le musicologue Yaël Hêche, précise que Frank Martin s’est adonné à la musique de chambre tout au long de sa carrière, mais souvent à destination d’effectifs peu courants (viole d’amour et orgue, trombone et piano, sextuor de cuivres, etc.). Par contre, on ne trouve qu’un seul Quatuor à cordes, écrit en fin de parcours de vie, près de cinq décennies après un Quintette pour piano et cordes qui, en 1919, est de la main d’un compositeur encore jeune. C’est cette dernière partition qui ouvre le programme. À la fin de l’année 1918, Martin se marie avec Odette Michel (1896-1962), qui sera écrivaine, traductrice et active dans le domaine de la Croix-Rouge. Le couple s’installe à Zurich, où le compositeur, qui cherche une voie musicale personnelle, écrit ce quintette, placé sous l’influence de Debussy et Ravel, qu’Ansermet lui a fait découvrir, tout en la prenant à son compte pour affirmer sa personnalité en devenir. Nanti d’attachantes mélodies, notamment dans un Adagio émouvant placé sous le signe de sa foi religieuse et de Bach, une prédilection souvent mise en évidence, que la notice tempère en soulignant l’aspect post-romantique de la page, ce quintette octroie au piano un rôle global discret, réservé aux nuances et aux couleurs, laissant les cordes se déployer généreusement. Le Menuet dévoile cependant de manière explicite l’impression produite par Ravel. L’année suivante, le mouvement lent est transcrit pour un délicieux quintette à cordes (avec deux violoncelles) sous le titre Pavane couleur du temps. Ici aussi, l’allusion à Ravel avec sa référence à Peau d’âne de Perrault est manifeste. Frank Martin arrangera cette pavane pour orchestre en 1954.

Près de cinquante ans séparent donc le Quintette du seul Quatuor, fruit d’une commande de la Fondation Pro Helvetia en 1967. On ne peut que regretter que Frank Martin ne se soit pas décidé plus tôt à exploiter ce domaine, car l’œuvre est splendide dans son néo-classicisme, dans sa forme, son rythme et son expressivité. Un Lento ouvre la partition avec une mélopée de l’alto, qui va se transformer en un superbe dialogue progressif entre les instruments, au lyrisme duquel il est difficile de résister. Un court Prestissimo en forme de toccata précède un Larghetto d’une remarquable hauteur de vues, avant qu’un Allegretto leggero, qui serait né suite à un rêve du compositeur dans lequel il voyait des formes dansantes, ne parachève ce quatuor plein d’imagination et d’originalité.

Le Quatuor Terpsycordes a été fondé à Genève en 1997. Ses membres (Girolamo Bottiglieri et Raya Raytcheva, violons ; Caroline Cohen-Adad, alto et Florestan Darbellay, violoncelle) collaborent régulièrement avec des partenaires baroques ou attirés par la musique de notre temps. Ils ont enregistré Schubert pour Ricercar, Bach pour Zig-Zag Territoires ou le compositeur mexicain naturalisé italien Javier Torres Maldonado pour Stradivarius, mais aussi Haydn et Schumann pour Claves. Homogènes et chaleureux, avec des sonorités généreuses et épanouies, les Terpsycordes servent à merveille le répertoire de Martin. Le pianiste genevois Fabrizio Chiovetta, de nationalité suisse et italienne, chambriste reconnu, est le partenaire nécessairement discret pour le quintette ; le violoncelliste François Grin, Suisse né à Washington, vient compléter efficacement le quatuor pour la courte Pavane. Un très bel album, hommage à Frank Martin, qui incite le mélomane à approfondir le catalogue d’un compositeur trop peu fréquenté.  

Son : 9  Notice : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 9

Jean Lacroix    

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