Osmo Vänskä et la symphonie-monde
Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie n°3 en ré mineur. Jennifer Johnston, mezzo-soprano ; Chœur de femmes du Minnesota Chorale, Minnesota Boychoir, Minnesota Orchestra, Osmo Vänskä. 2022. Livret en anglais, allemand et français. 104’07’’. BIS 2486.
Avec cette Symphonie n°3, le chef d’orchestre Osmo Vänskä met un terme à son intégrale Mahler. Bis éditant simultanément à cette parution un coffret intégral, nous réécouterons cette somme dans son ensemble, mais concentrons-nous ici sur cette fabuleuse partition.
Comme avec les précédents volumes, Osmo Vänskä adopte une approche mesurée et construite au service de la musique. Point de grand barnum orchestral d’une mécanique rutilante et démonstrative. Le premier mouvement surprend par une certaine forme de retenue. Le chef ne cherche pas à faire exploser les forces telluriques, mais se veut le grand architecte d’un avènement d’un monde qui, selon cette partition, ne peut être que beau. On admire la construction patiente qui s’appuie sur le soin apporté aux textures et aux équilibres. Nous ne sommes pas dans la sculpture granitique et intimidante mais dans une peinture de paysage qui rend un univers de formes, de couleurs et de nuances. Mais la grande réussite d’Osmo Vänskä est de ne pas dénerver le discours qui garde sa tension et sa linéarité mais dans des couleurs limpides d’une source à sa naissance
Mais cette mesure du temps musical permet au chef de tenir le discours sur la distance de l'œuvre jusqu’à l’apothéose du mouvement final, souvent parent pauvre des interprétations, tant son ton peu spectaculaire reste mal compris. La direction respecte particulièrement les indications de Mahler “Langsam. Ruhevoll. Empfunden “ [Lent. Calme. Avec sentiment], en particulier la notion de “Empfunden” qui n’est pas ici un pathos mais un émerveillement devant cette symphonie-monde.
Autre immense qualité de cette lecture, le soin des détails et des nuances. Le matériau orchestral est déjà d’une beauté incroyable mais le chef soigne les césures, les gradations et les dynamiques. Certains moments sont extraordinaires tels que la fin du troisième mouvement avec le dialogue entre le cor de postillon et les cors ou le début du final avec ce tapis de cordes aéré et mobile.
Enfin, cette interprétation ne serait pas possible sans la complicité des musiciens du Minnesota Orchestra. Certes, il s’agit d’un orchestre à l’histoire des plus prestigieuses et qui s’inscrit dans la légende du disque, mais on ne peut qu’admirer le niveau stratosphérique de ses pupitres tant dans les individualités que le collectif. Ces musiciens ne semblent avoir aucune limites dans les nuances, la musicalité et la capacité à fusionner avec la vision de leur chef. Mention très bien aussi pour les forces chorales et la mezzo-soprano Jennifer Johnston.
La prise de son Bis est également fabuleuse dans sa capacité à rendre les couleurs orchestrales et la gamme des nuances. On a rarement été autant dans l’orchestre nous délectant de cette musique.
Au risque de se répéter quand il s’agit d’Osmo Vänskä, c’est encore un accomplissement musical majeur de l’un des plus grands chefs de notre temps, un chef qui impose sa vision singulière et personnelle d’un enregistrement qui marque son temps.
Son : 10 Notice : 10 Répertoire : 10 Interprétation : 10
Pierre-Jean Tribot