Un OVNI du romantisme français
Charles-Valentin ALKAN
(1813-1888)
Nocturne opus 22-Barcarolle opus 65 n° 6-Chanson de la folle au bord de la mer op. 31 n° 8-Sonate « Les quatre âges » opus 33
Pascal AMOYEL (piano)
2012-DDD-67'29-Textes de présentation en français, anglais, japonais et allemand-La dolce volta LDV 11
Hans von Bülow a dit de lui qu'il était le Berlioz du piano, on a écrit qu'il avait fallu qu'il meure pour qu'on soupçonne son existence (journal Le Ménestrel de 1888). Et la légende prétend qu'il est mort écrasé par sa bibliothèque. Tout, dans la vie et la carrière de Charles-Valentin Alkan, misanthrope au catalogue gigantesque où le monumental côtoie la miniature, nous pousse à voir en lui l'exemple type du compositeur maudit, génial mais incompris: une notion très romantique, à coup sûr, mais c'est précisément dans ce romantisme que son art s'inscrit en plein malgré ses particularités, il faudrait dire ses singularités. Car il ne faut pas écouter longtemps sa musique pour piano, qui représente l'essentiel de son oeuvre, pour prendre la mesure de son talent tout à fait à part. Même dans sa monumentale sonate Les quatre âges, la structure habituelle de la forme sonate semble s'évaporer. Ses quatre mouvements, aussi différents que possible dans leur esprit et leur caractère, s'apparentent davantage à des impromptus monstrueux par leurs dimensions. Mieux encore, ils mériteraient d'être appelés fantaisies, tant les sautes d'humeur sont légion dans ces pages labyrinthiques, dans un esprit de liberté et d'expression qui rappelle souvent les pages les plus stigmatisantes de Liszt. Il ne faudrait pourtant pas voir dans le Français un simple suiveur du Hongrois. Schubert, Chopin, voire Schumann, le dernier Beethoven et, plus loin, Scriabine et son mysticisme, ne sont jamais bien loin. Surtout, le ciment qui lie tous ces éléments parfois un peu disparates est bien original, bien personnel à cet art unique dans tous les sens du terme. Le pionnier Ronald Smith avait déjà enregistré en son temps l'essentiel du programme présenté ici : la sonate et la Chanson. L'honnêteté artistique, l'ardeur, la passion qu'il y insufflait contribuaient, pour l'auditeur, à concevoir un attachement certain pour ce disque fondateur, l'un des tout premiers à oser affronter de face les difficultés sans nom et de tous ordres qui hérissent ces partitions. Depuis, un Huseyin Sermet, un Marc-André Hamelin, parmi d'autres, sont parvenus à dompter ces pages rétives mais l'exercice demeure toujours périlleux. Dire que Pascal Amoyel s'en tire avec les honneurs est un euphémisme. Comme le meilleur des pédagogues, il souligne toutes les filiations, détaille avec limpidité les complexes structures et, en même temps, n'oublie jamais la passion, la folie, l'atmosphère hypocondriaque qui règnent en maîtres. Du grand Alkan et un succès de plus pour ce label doué pour nous proposer des disques d'exception, comme l'a été un magnifique album Mozart-Ciccolini paru il y a quelques mois.
Bernard Postiau
Son 10 - Livret 9 - Répertoire 10 - Interprétation 10