Une belle intégrale des symphonies de Vaughan Williams

par

Ralph Vaughan Williams (1872-1958) : Intégrale des Symphonies. London Symphony Orchestra, direction : Richard Hickox (Symphonies 1 à 6 et 8); Orchestre Philharmonique de Bergen, direction : Sir Andrew Davis (Symphonies 7 et 9). Textes de présentation en anglais. 1 coffret  Chandos CHSA 5303.

Il colle à la musique de Vaughan Williams des préjugés encore plus tenaces que le sparadrap du capitaine Haddock et sa réputation est celle d’un compositeur de musique au métier sûr, à la musique bien faite mais hélas académique et assez ennuyeuse. Comme bon nombre de ses confrères britanniques de l’époque (à commencer par Elgar, mais aussi Stanford et Parry qui furent ses principaux maîtres même s’il étudia aussi avec Max Bruch et Ravel), il aurait une fâcheuse tendance à pondre des œuvres d’un lyrisme sympathique et sentant bon la campagne anglaise, mais hélas inexportables. En dépit du prestige dont il bénéficie dans son pays natal, il demeure à ce jour un grand absent des programmes de nos sociétés de concert, mais peut-être que son heure peut encore venir, comme ce fut le cas pour ces réprouvés que furent longtemps dans nos contrées Bruckner, Sibelius ou Chostakovitch.

L’année 2022 a vu le 150e anniversaire de la naissance du compositeur, fêté comme il se doit outre-Manche et très peu ailleurs. C’est donc l’occasion rêvée pour se pencher sur ce coffret où Chandos a regroupé une intégrale des symphonies de l’auteur entamée en 2000 déjà par le London Symphony Orchestra sous la direction de Richard Hickox et brutalement interrompue par le décès, à 60 ans à peine, du talentueux chef d’orchestre en 2008. Heureusement, Chandos a eu la bonne idée de faire appel à Sir Andrew Davis et l’Orchestre Philharmonique de Bergen en 2016 et 2017 pour enregistrer les Symphonies n° 7 et n°9 qui manquaient à cette intégrale.

Et puisqu’on parle du caractère a priori supposé indécrottablement anglais de cette musique, Chandos ne fait pas grand-chose pour convaincre les non-anglophones de l’universalité de cette musique, le livret qui reprend les commentaires -au demeurant excellents- qui accompagnait les parutions d’origine entre 2000 et 2017 étant uniquement dans la langue de Shakespeare. Qui plus est, le dernier des six cd comporte près de cinquante minutes d’enregistrement -en anglais, bien sûr- permettant d’entendre Vaughan Williams lui-même évoquer Stanford et Parry, Ursula Vaughan Williams confier des souvenirs sur son mari et l’immense chef John Barbirolli dire son admiration pour le compositeur. La perle de ces documents délicieusement surannés est un entretien de 1966 entre le musicologue Robert Layton et Sir Adrian Boult, où le grand chef d’orchestre -British jusqu’à la pointe des moustaches et ami personnel du compositeur- décrit le côté « very English » de la Symphonie Pastorale (N° 3), ses tentatives de faire jouer la musique du compositeur à l’étranger (on apprend ainsi que Bruno Walter, exilé à New York, appréciait les Cinquième et Sixième symphonies), l’accueil mitigé réservé à la Quatrième symphonie où il voit la réaction de Vaughan Williams aux horreurs de la Première Guerre mondiale, ainsi que le caractère « quiétiste » de la Cinquième symphonie.

Ce n’est pas faire injure à l’immense talent du compositeur que de dire que ses deux premières symphonies sont vraiment très britanniques. La Première « A Sea Symphony » -qui ajoute à un grand orchestre (avec orgue) un choeur et deux solistes vocaux (soprano et baryton)- est une oeuvre vaste (66 minutes) et ambitieuse basée sur de magnifiques poèmes de Walt Whitman, mais elle tient davantage de la cantate que d’une symphonie. Elle ne peut nier, surtout dans le finale « The Explorers » l’influence du Elgar de l’oratorio The Dream of Gerontius (perle du répertoire très britannique), alors que l’écriture des délicats échanges entre les deux solistes du chant a quelque chose d’opératique qui semble tiré de Puccini. La fin de l’oeuvre sur les mots « O farther, farther sail » est très lyrique et touchante.

La Deuxième porte le titre de « A London Symphony ». Cette gravure est la seule à proposer la version originale de 1913 que Vaughan Wiliams révisa encore à deux reprises avant d’en arriver à une version définitive en 1936, retranchant 145 mesures, principalement dans les deuxième et quatrième mouvements ainsi que dans l’Epilogue qui conclut l’oeuvre, alors que le Scherzo se voyait ajouter douze mesures. Honnêtement, ces révisions sont à l’avantage de l’oeuvre, ramenée d’une durée de plus d’une heure à quelque quarante minutes. Dans le premier mouvement, la musique semble d’abord émerger de la brume pour déboucher sur l’agitation de la grande ville (on a l’impression de passer des Nuages de Debussy au Mandarin merveilleux de Bartók) avant d’en arriver à un sentiment allant, témoignant d’une aisance mélodique bien anglaise. Le Lento est serein, d’une espèce de grâce élisabéthaine digne sans être guindée et marqué par de belles interventions des bois et un petit côté musique de film. Et c’est vrai qu’avec ses 16 minutes, cette version originale est un peu trop longue et que les coupures du compositeur sont amplement justifiées. Après un Scherzo gai et alerte, le Finale est animé quoique un peu décousu alors que l’Epilogue présente quelques passages vraiment prenants. Vaughan Williams fait parfois penser ici à son quasi contemporain Jean Sibelius (1865-1957), mais sans la rigoureuse maîtrise du maître finlandais. 

Les choses changent avec la Troisième symphonie, la très mal nommée « Pastorale », créée en 1922 par Adrian Boult. Baignée de tristesse digne, pleine de puissance contenue, cette Pastorale est une grande et belle élégie après les horreurs de la Première Guerre durant laquelle le compositeur avait servi en France et en Grèce. Le Lento saisit par sa poignante sobriété et sa touchante intériorité. Le solo de cor qui semble tourner sur lui-même, puis celui de la trompette qui sonne ici comme un clairon ne jouant que les notes naturelles dans une référence au Last Post ont quelque chose d’infiniment désolé. Le Scherzo (Moderato pesante) débute par une exubérance inattendue avant d’en arriver à une joie un peu forcée.

Le Finale s’ouvre sur une émouvante vocalise pour soprano solo sur fond de caisse claire. Un choral pour cuivres sonne alors comme une déploration funèbre avant qu’on ne passe à une douloureuse apothéose qui précède le retour de la soprano solo. On touche ici au mystère, avec cette impression que la musique ne s’arrête pas mais se dissout. 

La Quatrième symphonie (1931-1934) est une grande œuvre au ton plus ouvertement moderne. L’Allegro introductif, d’une véhémence prokofiévienne, semble vouloir tout emporter sur son passage avant d’en arriver à une fin aussi brusque qu’apaisée. L’Andante moderato qui suit voit une mélodie sereine aux cordes rudement interrompue par une intervention énergique des cors avant que le mouvement ne se conclue dans la sérénité. Après un Scherzo énergique, le Finale -rappelant ici l’énergie d’un Stravinsky ou d’un Roussel- avance sans l’ombre d’une hésitation, toujours ferme et décidé. 

La vraie Pastorale de Vaughan Williams, c’est la Cinquième symphonie (1938-1943), toute de luminosité, transparence, sérénité, avec une oscillation entre majeur et mineur et le recours à l’écriture modale. Même le Scherzo est lumineux, léger et serein, sans le mordant que pourraient mettre ici un Prokofiev ou un Chostakovitch. Le mouvement lent est une Romanza en longues phrases toutes de grâce et de transparence, avant que l’œuvre ne s’achève sur une Passacaille guillerette et optimiste et so British.

Il y a en revanche quelque chose de maléfique dans la Sixième symphonie (1944-1947, révisée en 1950). On trouve dans le deuxième mouvement, Moderato, un motif de trois notes répété sans cesse aux trompettes et timbales et qui fonctionne étonnamment -en plus court, mais tout aussi menaçant- comme la fameuse marche de l’Allegretto initial de la Symphonie N° 7 « Leningrad » de Chostakovitch. Le Scherzo est déchaîné et grinçant, maléfique, inexorable.

Quant à l’Epilogue, c’est une musique glacée qu’il offre, toute de lassitude, de dépouillement, d’immobilité et qui refuse de se livrer, gardant son mystère pour elle. 

La Sinfonia Antartica (Septième symphonie) trouve son origine dans une musique de film commandée à Vaughan Williams pour le film Scott of the Antarctic (L’Epopée du capitaine Scott), réalisé par Charles Trend et sorti en 1948, narrant l’échec et la tragique fin du capitaine Scott parti pour être le premier homme à arriver au Pôle Sud. Non seulement l’explorateur norvégien Amundsen y arriva quatre semaines avant lui, mais tous les membres de l’expédition britannique périrent de faim, de froid et d’épuisement lors du voyage de retour. 

C’est à partir de 1949 que le compositeur se mit à retravailler cette musique pour en faire ce qui est, d’une certaine façon, sa Symphonie alpestre (sauf qu’elle se termine beaucoup moins bien que la promenade en montagne illustrée par Richard Strauss). L’oeuvre, puissamment illustrative mais assez littérale s’écoute avec plaisir mais n’est pas au nombre des meilleures créations de l’auteur. Le Prélude, qui a abondamment recours à la machine à vent et à un choeur féminin désincarné, évoque une nature hostile, la banquise déserte et le vent coupant qui y souffle. Après un Scherzo bon enfant qui amène un moment de détente bienvenu, le Lento est un mouvement sinistre où l’on ressent la menace qui émane du paysage antarctique désolé et indifférent à l’homme alors que l’orgue, terrifiant, gronde. L’Intermezzo qui suit offre un moment de tendresse et de lyrisme bienvenu, avec un très beau solo de violon. La Sinfonia Antartica s’achève sur un Epilogue qui débute de façon majestueuse avant que ne s’instaure un climat plus serein. Enfin, la soprano solo et le chœur de femmes, accompagnés de la machine à vent, des altos et des timbales, entonnent un thrène désincarné et sans paroles, alors que la musique s’éteint doucement.

Œuvre d’un musicien toujours jeune de 83 ans, la Huitième symphonie (1953-1955) est une composition d’une légèreté et d’une gaité aussi inattendues que bienvenues. L’aisance mélodique, l’orchestration transparente comme le côté insouciant et optimiste du premier mouvement, Fantasia, font penser à des œuvres comme la Suite provençale de Milhaud, alors que le Scherzo alla Marcia pour vents seuls, solaire et moqueur, évoque Poulenc en plus musclés. La Cavatina pour cordes seules fait preuve, elle, d’un ample lyrisme bien anglais. Enthousiaste et plein de vie, le finale, Toccata colle campanelle, a recours à une vaste gamme de percussions (glockenspiel, xylophone, gongs).

La Neuvième Symphonie (1956-1957) est sombre, visionnaire, austère et forte. Le premier mouvement a quelque chose de menaçant et de minéral, alors que de beaux épisodes de tendresse allègent la tension. L’Andante sostenuto est marqué par de nobles solos de bugle qui alternent avec des thèmes plus austères, le tout débouchant sur un esprit de profonde et sereine réflexion. Le Scherzo qui suit est enlevé et entraînant, et met en évidence un trio de saxophones sur fond de cordes soyeuses. Le mordant de la musique rappelle fort le mouvement correspondant de la Quatrième symphonie. Les saxophones jouent à nouveau un rôle important de l’Andante tranquillo final. Riche et pleine de mystère, la musique atteint ici à une sérénité, une franchise et une probité qui sont comme la distillation de l'expérience de toute une vie. 

On l’aura compris, c’est à un voyage riche de découvertes que nous invite ce coffret qui nous offre ces œuvres de tout premier plan que sont les Troisième, Quatrième, Sixième et Neuvième symphonies. Et quel dommage qu’on n’ait pas inclus ici -il aurait suffi de réserver un cd séparé aux interviews- la splendide version de ce chef-d’œuvre qu’est le ballet Job qui accompagnait dans la parution d’origine la Symphonie n° 9 sous la baguette inspirée d’Andrew Davis.

Conclusion : Voici une somme hautement recommandable, qui invite à la découverte d’une musique passionnante et méconnue dans des interprétations de très grande qualité (elles peuvent se mesurer sans problème aux versions plus connues de Boult/Warner et Haitink/Warner) et des prises de son excellentes, offertes en plus à un prix très abordable.

Ceux qui tenteront l’aventure ne le regretteront pas.

Son 10 - Livret 10 - Répertoire 8 (deux premières symphonies) à 10 - Interprétation 10

Patrice Lieberman

 

 

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