Une caustique fable pastorale de Vivaldi, à redécouvrir dans une prestation survoltée

par

Antonio Vivaldi (1678-1741) : Serenata a tre RV 690 « La Ninfa e Il Pastore ». Elisabeth Breuer, soprano (Eurilla). Sonia Tedla, soprano (Nice). Alessio Tosi, ténor (Alcindo). Modo Antiquo, direction Federico Maria Sardelli. Août 2021. Livret en anglais, français, allemand ; paroles en italien non traduit. TT 67’51. Glossa GCD 924602 

Une perle du catalogue vocal du Prete Rosso, ni la mieux connue ni la plus enregistrée. Les mélomanes de mémoire se rappelleront peut-être une émouvante interprétation gravée voilà sept décennies par Edwin Loehrer et l’Orchestra Da Camera Di Milano, avec Alfredo Bianchini, Grete Rapisardi-Savio et Silvana Zanolli (Vox, 1953). La discographie fut abondée en novembre 1980 par René Clemencic (Harmonia Mundi) qui incluait Se All Estivo Ardor Cocente, aria alternative (et non incluse dans le présent album) pour Nò, Che Non È Viltà. Puis par Claudio Scimone pour Erato en avril 1982, l’année où Mickael Talbot (référentielle autorité vivaldienne et auteur de la notice de ce CD) signait un article de présentation de l’œuvre envers laquelle il avoue aujourd’hui, avec une louable sincérité, s’être un peu fourvoyé quant au dédicataire de cette Serenata.

Car en considération des récentes recherches, notamment d’Aurelia Ambrosiano, l’indication « pour Monsieur le Mar[quis] du Toureuil » renverrait non pas à un abbé d’obédience janséniste, mais à un aristocrate établi à Venise vers 1715, proche de la famille Vivaldi, qui commanda cet opus. On ignore toutefois encore si, au-delà de la signification allégorique de cette fiction arcadienne (livret d’Antonio Maria Lucchini), l’on doit déceler des allusions à de réels notables de l’époque. En l’absence de sources contextuelles, les enjeux de cette sérénade restent donc cachés. L’intrigue relève d’un berger, Alcindo, dont les sentiments sont mis à l’épreuve de la vertu par la nymphe Eurilla et sa compagne Nice, jusqu’à une condamnation indignée envers le héros qui cède aux pernicieuses avances. Musicalement, la partition emprunte aux genres de l’oratorio et de la cantate de chambre, et permet l’étalage d’une veine illustrative : hautbois pour l’ambiance pastorale, aria de chasse avec cors, suggestifs clapotis pour Acque placide che correte, solo de violone pour souligner le grotesque des mœurs contadines, brio opératique du Vorresti lusingarmi et du vindicatif épisode final.

Federico Maria Sardelli survolte ce petit théâtre, sans temps mort, même dans les récitatifs et dialogues. La contrebasse de Daniele Rosi contribue à un électrocutant relief, constamment et en particulier dans un Dell’arma superba qui décrasse le boomer de l’enceinte de droite. Sonia Tedla nous émoustille dans des vocalises de haute voltige (flamboyant Digli, che miri almeno) mais semble moins ailée dans l’air qui conclut la première partie, passementé de virtuoses acrobaties violonistiques qui lui volent la vedette. Alessio Tosi est au diapason de la naïveté de son rôle tiraillé, quitte à en simplifier le ton dans des moments de magie comme l’ondoyant Acque placide, pivot affectif de la Sérénade. Même si la plasticité vocale reste tendue, le ténor atteint une pudique émotion dans le touchant L’altero bianco giglio où le paysan assimilé à une violette entend résister au lys altier. A contrario, Elisabeth Breuer apporte une certaine complexité psychologique dans les demi-caractères, madrée jusque dans l’ingambe La dolce auretta, même si la nymphe mériterait un tempérament plus manipulateur, et si le Vorresti lusingarmi certes agilement dessiné accepterait une autre cruauté que cette prestation trop ébahie.

Nos quelques minimes réserves quant à l’incarnation des personnages ne gâcheraient rien d’un spectacle que la troupe de Modo Antiquo sert avec une astringente verdeur : candeur et causticité se disputent cette Serenata à (re)découvrir d’urgence, dans une interprétation qui décape le chaudron d’humeurs et remet les pendules à l’heure, volontiers satirique.

Christophe Steyne

Son : 9 – Livret : 9,5 – Répertoire : 9 – Interprétation : 9,5

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