Une fascination perpétuée Tristan und Isolde de Richard Wagner

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Au Grand Théâtre de Luxembourg, le Tristan und Isolde de Richard Wagner prouve une fois encore la fascination que suscitent ce compositeur et plus particulièrement cette œuvre. C’est une fête musicale dans une mise en scène « originale » de Simon Stone.

Wagner ! Quelle fascination il a suscitée, il suscite et suscitera encore longtemps sans doute. Fascination pour l’homme. Confronté aux aléas d’une existence souvent compliquée (révolutionnaire banni, endetté au long cours), il est fasciné par lui-même (il se sait génial) et en fascine tant d’autres (notamment ce Louis II qui lui offrira la somme nécessaire pour l’édification du « temple » de Bayreuth, le Festspielhaus).

Fascination pour une œuvre qui ne laisse pas indemne ! Tristan und Isolde, actuellement à l’affiche du Grand Théâtre de Luxembourg, en est une merveilleuse démonstration. Ces jours-ci, on a pu, on peut et on pourra retrouver cet opéra à Paris-Bastille, Nancy, Vienne, Toulouse, Munich et Anvers-Gand !

Il est vrai que ce récit est un récit fondateur de notre conception occidentale de l’amour impossible sinon dans la mort. Une thématique déclinée aussi bien par Shakespeare que par Maeterlinck-Debussy ou Claudel. Un récit ancré dans des conceptions mythiques : les androgynes primitifs coupés en deux, devenus hommes et femmes, sans cesse à la recherche de leur part manquante pour se rejoindre fusionnellement. Dans des conceptions romantiques : l’amour étant pour l’Homme fini, limité, l’expérience de l’infini, du sans-limite. Dans des conceptions orientalisantes aussi, bouddhiques, avec l’espoir d’un nirvana à venir. Nous sommes en quelque sorte les spectateurs de réalités archétypales inscrites au plus profond de nous. Tout cela, Wagner nous le dit et le redit et le redit encore (il n’est pas un modèle de concision). 

Mais surtout, il le traduit en une musique qui, pour le philosophe Schopenhauer, si important pour Wagner en ce temps-là, est « le seul moyen d’exprimer le sens profond de l’existence ».

Une musique qui fascine évidemment avec, dès les premières mesures, ce fameux « accord de Tristan » « irrésolu », qui ne se conclut pas, et qui ne se conclura que tout à la fin de l’œuvre, dans les dernières notes du « Liebenstod » d’Isolde. L’amour dans la mort. Avec les leitmotive qui repris, conjugués, déclinés, ont cet effet particulier de nous immerger sensoriellement dans l’univers en expansion de Wagner.

A Luxembourg, cette immersion a lieu, grâce au chef d’orchestre, Lothar Koenigs, à la tête d’un Orchestre Philharmonique du Luxembourg qu’il a « wagnérisé », dans les longues périodes, les ruptures explosives, les épisodes davantage chambristes. Mais grâce surtout à des interprètes qui, dans l’énergie conjuguée du chant et du jeu, imposent leurs personnages. A ce propos, Sophie Koch, qui est l’Isolde de Toulouse, parle de « l’Everest » que représente son rôle. C’est une formulation bienvenue. A Luxembourg, on peut dire que Daniel Frank (Tristan) et Ann Petersen (Isolde) ont réussi leur ascension ! Quel incontestable Roi Marc a encore été Franz Josef Selig, dont la voix profonde sans faille et si nuancée dit si bien la douleur d’un homme qui se croit trahi. Les autres aussi ont été d’excellents « compagnons de cordée » : la Brangäne de Katarina Karnéus, le Kurwenal de Josef Wagner, le Melot de Leon Kosavic, ainsi que Joël Williams-le jeune marin et James Atkinson-un timonier.

Une œuvre fascinante donc que s’est appropriée le metteur en scène Simon Stone. Un défi redoutable et que relèvent si différemment les metteurs en scène des productions que j’évoquais plus haut, des vidéos merveilleuses de Bill Viola à Bastille au réalisme plus traditionnel de Nicolas Joël à Toulouse, en passant par la décision radicale de Tiago Rodrigues à Nancy de supprimer les surtitres et de les remplacer par des panneaux du genre films muets.

Simon Stone, lui, sécularise, laïcise le propos : dans un univers de bourgeois à la visible réussite, il imagine un adultère : pendant le Prélude, madame surprend monsieur en train de batifoler avec une jeunette. Bouleversée, elle bascule dans un rêve-cauchemar qui lui fera mélanger l’histoire fascinante de Tristan und Isolde aux personnages et réalités de sa pauvre vie conjugale. Le premier acte se déroulera donc dans un appartement-revue de décoration de standing, le second, dans un bureau open-space, et le troisième, dans un métro parisien de fin de soirée chic, dont les stations défilent pendant l’ultime chant si bouleversant de Tristan. A la fin, quand Isolde conclut son Liebestod, quand « l’accord de Tristan » trouve enfin sa résolution, la dame retire et rend son alliance au mari infidèle… Soit…

Stéphane Gilbart

Luxembourg, Grand Théâtre de Luxembourg, le 27 février 2023 

Crédits photographiques :  Philharmonie Luxembourg/Eric Devillet

 

 

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