Une redécouverte majeure

par

Le Mage de Massenet à Saint-Etienne
L'année Massenet (1912-2012) se termine en apothéose avec cette “recréation” de l’opéra Le Mage dans le cadre de la Biennale organisée par l’Opéra-Théâtre de sa ville natale. Recréation ? Oui, en quelque sorte, car l’oeuvre, créée en 1891 à l’Opéra de Paris, si elle connut un beau succès public (31 représentations), fut éreintée par la critique et jamais reprise, hormis une fugitive apparition à La Haye cinq ans plus tard.

Il s’agit donc bel et bien d’une redécouverte totale. Comment appréhender cet oubli qui paraît incompréhensible ? Comme beaucoup d’auteurs l’ont remarqué, Le Mage, situé chronologiquement entre Esclarmonde et Werther, soit à l’apogée de l’inspiration du musicien, ne pouvait être une oeuvre moins réussie. Les contemporains ont raillé le livret de Jean Richepin. Il évoque assez celui d’Aïda : le général iranien Zarastra (Zarathustra / Zoroastre) tombe amoureux d’Anahita, reine ennemie, mais est aimé de Varedha, fille du prêtre Amrou. Sommé d’épouser Varedha par son roi, il refuse, se réfugie dans la montagne et fonde une nouvelle religion. La fin sera plus heureuse : après une terrible bataille, Zarastra, au milieu des ruines fumantes, retrouvera Anahita et s’éloignera, laissant Varedha haineuse et expirante.  Beau sujet héroïque et orientalisant, dont Massenet a parfaitement tiré parti. Il faut y voir une aventure genre heroic-fantasy, comme pour Esclarmonde, plutôt qu’une sombre lutte métaphysique entre Bien et Mal comme l’aurait voulu le librettiste. Cela dit, qu’en est-il de la partition de Massenet ? Sans aucune référence, je me sentais comme un critique de 1891, devant donner une appréciation sur un opéra nouveau. Et la puissance d’inspiration de Massenet m’a subjugué. Non, il n’est pas que le petit-maître de l’opéra de demi-caractère, celui de Manon ou de Werther, comme on l’a si longtemps circonscrit, mais aussi un Maître du Grand Opéra, auquel il a donné Le Roi de Lahore, Hérodiade ou Le Cid. Eclectique, la verve de Massenet était multiple, et il est bon de le souligner. La partition du Mage impressionne avant tout par la richesse de l’orchestration, d’une puissance et d’une richesse éblouissante (2 tubas renforcent les cuivres, et la percussion est abondante, avec entre autres un glockenspiel très présent). Musicalement, l’oeuvre est passionnante. Certes, on connaissait le duo qui ouvre le deuxième acte par l’enregistrement de Thebault – Pruvot (Brilliant) et l’air de Zarastra par Villazon dans son récital en DG, mais d’autres merveilles encore parsèment la partition : les duos Zarastra-Varedha, formidablement dramatiques, tout le troisième acte par exemple, très choral, dominé par la figure du Mage et de ses disciples, ou le début du cinquième acte, dont la désolation évocatrice prend à la gorge. Le finale lui-même, avec sa muraille de feu s’écartant des héros, évoque La Walkyrie, à coup sûr. L’aspect visuel, tant admiré à l’époque (électricité, vapeur) manquait bien sûr lors de ce concert, mais on pourrait espérer un jour une mise en scène brillante, requise par le sujet. Vocalement, l’Opéra-Théâtre a régalé le public. Les deux dames rivalisaient de beauté, avec l’Anahita quasi wagnérienne de Catherine Hunold et la prodigieuse Varedha de Kate Aldrich qui ont réuni tous les suffrages. Jean-François Lapointe, en prêtre Amrou, a fasciné par son art suprême du legato (son arioso à l’acte IV en a fait frissonner plus d’un), et Marcel Vanaud campait un Roi de grande allure. Mentions spéciales pour Julien Dran et Florian Sempay, petits rôles promis à un grand avenir. Seul hélas le Zarastra de Luca Lombardo a déçu, mais il était malade et a courageusement assumé une partition très lourde. Un grand bravo pour ce beau ténor. Mais aussi pour toute cette équipe de la Biennale Massenet qui a brillamment fêté l’enfant du pays par cette production d’un opéra que l’on croyait maudit, et qui s’est avéré superbe. Un enregistrement est prévu fin 2013. Il ne restera donc plus que Bacchus à présenter pour avoir enfin l’intégralité de l’oeuvre du plus grand maître de l’opéra français.
Bruno Peeters
Opéra-Théâtre, le 9 novembre 2012

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