Une vision transgressive de vieux classiques… 

par

Franz Joseph Haydn (1739-1809) :  Sonate n°16 en Ré majeur, Hob, XVI/14 ; Sonate n°46 en Mi majeur, Hob. XVI/31 ;  Sonate n°38 en Fa majeur, Hob. XVI/23 ; Sonate n°60 en Ut majeur, Hob. XVI/50 ; Sonate n°31 en La bémol majeur Hob. XVI/46 ;  Sonate n°33 en Ut mineur, Hob. XVI/20. Josu de Solaun, piano. 2021. Livret en espagnol et anglais. 2 CD LBS Classical. Lbs5252021.  

Ce regard de l’interprète entre narquois et amusé sur la pochette de ce double CD ne nous ferait pas penser d’emblée à un enregistrement-fétiche à la couverture merveilleusement artistique dont certains éditeurs sont friands. C’est en ouvrant le Cd que le commentaire du pianiste sur ses choix stylistiques pose d’emblée la question : “est-ce un CD enregistré selon les critères des interprètes historiquement informés… la réponse est un catégorique et joyeux NON !” “Mais… est-ce un enregistrement contre ces mêmes critères ? La réponse est aussi catégorique : NON !” Il ajoutera que certains parleront d’un interprète “romantique”, d’autres “postmoderne”. À moi d’ajouter que cette vision assez iconoclaste du vieux maître viennois est salutaire à tous égards, à commencer par le choix d’un instrument “non Steinway”, un Shigeru Kawai. Sans vouloir le moins du monde décrier les qualités royales de la manufacture américaine, il faut bien avouer que presque aucun enregistrement de piano ne sort, de nos jours, du sillon de la bienséance Steinway. Alors que des facteurs comme Fazioli, Borgato, Paulello, Maene ou Steingräber, pour ne citer qu’eux, continuent de fabriquer des instruments aux qualités plus que saillantes… qu’il est rarissime de retrouver dans les enregistrements pianistiques. Je ne ferais pas ici la louange de cet instrument japonais car il ne correspond pas à mon propre idéal sonore : les pianissimi sont, certes, séduisants mais le forte est à mon goût trop métallique, ce qui s’ajoute à une prise de son quelque peu crue. Il faut néanmoins avouer que la symbiose entre ce piano et Solaun, l’entrain et l’imagination qu’il apporte à ces sonates -quelques-unes assez connues, d’autres assez rares- sont remarquables à tous points de vue. Il accorde une palette sonore extrêmement variée à ce que l’écriture de Haydn lui suggère, nous permettant ainsi d’assister à un festival de créativité interprétative. Comme il écrit lui-même, ce serait une lettre d’amour au compositeur Haydn… Pendant l’écoute, je me suis livré à un exercice intellectuel amusant : imaginer cette même manière de jouer transposée à un instrument historique de Clementi ou Stein et, toute proportion gardée, le foisonnement d’idées, les choix d’articulation ou l’incroyable variété de ses textures sonores feraient merveille sur un instrument d’époque. On parlerait alors d’un interprète « historiciste » de grande imagination... J’ai, personnellement, un faible pour la version de Christine Schornsheim qui enregistra en 2005 l’intégralité des sonates pour Capriccio sur des fortepiani, clavecins et clavicordes d’époque, marquant ainsi un tournant dans la discographie pour claviers de Haydn, non seulement par son talent musical mais parce que la plupart des instruments utilisés étaient impeccablement restaurés et mis au point, témoins d’un patrimoine historique d’une valeur inestimable.

Solaun joue scrupuleusement toutes les reprises et il en fait un atout car il a l’art de réutiliser les mêmes matériaux avec des perspectives totalement différentes : une petite ornementation par-ci par-là, une cadence, parfois conséquente comme dans l’Hob. XVI 46 en la bémol, un changement soudain de nuance ou de caractère pour tel ou tel élément, ou un rubato imprévu tiennent l’auditeur en haleine et redonnent à ces sonates une vie vraiment nouvelle. L’Adagio de cette sonate en la bémol atteint un véritable sommet d’expression et d’émotion contenue. Le regretté Eduardo Del Pueyo parlait du pianiste comme « un metteur en scène de l’harmonie », une belle image qui trouve son application parfaite avec Solaun. On peut regretter certes ici ou là le souvenir de Horowitz, qui nous faisait rêver dans le mouvement lent de la Sonate en fa Hob. XVI/23 ou celui d’Alfred Brendel, grandiose dans la Sonate en ut mineur Hob. XVI/50. (Solaun avoue son admiration pour son enregistrement car ce fut le premier CD de son enfance…). Ce qui ne devrait pas nous priver de connaître un pianiste aux horizons culturels larges : il a la double nationalité espagnole et nord-américaine, il a vécu et étudié dans les deux pays avec des maîtres d’origines très diverses, dont Nina Svetlanova, une élève d’Heinrich Neuhaus, et remporté des concours aussi prestigieux que l’Enesco à Bucarest (comme Radu Lupu ou Elisabeth Leonskaïa) ou le José Iturbi à Valencia, sa ville natale. Il joue un peu partout avec orchestre, est connu aussi comme compositeur ou improvisateur (cet art fascinant dont je parlais récemment en ces pages à propos de Gabriela Montero) et il a publié aussi de la poésie, excusez du peu !

Son : 7 - Livret : 9 - Répertoire : 10 - Interprétation 10

 Xavier Rivera

 

 

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