Vilde Frang, une étoile montante

par

© Niclas Jessen

Si l’étoile montante norvégienne du violon n’avait pas déplacé la grande foule pour son récital au Palais des Beaux-Arts, on ne risque rien à affirmer que ce n’est plus qu’une question de temps avant que le grand public se rende compte des exceptionnelles qualités de cette jeune artiste, dont la maturité dépasse de loin ce qu’on pourrait attendre d’une musicienne, aussi douée soit-elle, de 28 ans à peine. Vilde Frang et son excellent partenaire Michail Lifits ouvrirent la soirée par la Première Sonate, op. 8 de Grieg, oeuvre de jeunesse d’un romantisme un peu passe-partout, mais présentant d’intéressants moments dans son Allegretto quasi andantino central où la partie de violon alterne passage folklorisants en doubles cordes et langueurs schubertiennes. Bénéficiant du partenariat idéal de Lifits -remarquable coloriste au jeu clair et sans faille, partenaire de plein droit et d’une remarquable virtuosité- Vilde Frang fit directement entendre la séduction de son timbre chaud, charnu et sensible. Après ce plaisant hors-d’oeuvre, les choses sérieuses commencèrent avec la Sonate K. 481 en mi bémol majeur de Mozart, où Lifits et Frang mirent directement la barre très haut. Sans vouloir remonter à Grumiaux et Haskil, il faut dire qu’on n’a que trop rarement le bonheur d’entendre un Mozart de ce niveau, où, bénéficiant de l’appui d’un pianiste dont, comme le souhaitait le compositeur salzbourgeois, les traits coulaient "comme de l’huile", Vilde Frang se fit directement remarquer par la superbe fluidité de son phrasé, sa hauteur de vues et sa spontanéité. Sa technique est de celles qu’on ne remarque pas, tant elle est parfaite: justesse irréprochable, conduite d’archet exceptionnelle, variété infinie du vibrato. Les deux jeunes musiciens firent de l’Adagio central un superbe moment de poésie et de pureté, et l’oeuvre se termina sur un Finale éblouissant, les deux interprètes partageant la même approche intelligente et sensible de ce répertoire, avec un pianiste à l’impeccable jeu perlé et une violoniste qui intervient en véritable chambriste, à mille lieues du style « grand violon » avec accompagnateur déférent qu’on entend parfois. Hasard ou volonté des interprètes, la deuxième partie mit à l’honneur deux compositeurs pour qui 2014 est un anniversaire, à commencer par Witold Lutoslawski, décédé il y a 20 ans. Comme il est bon de voir que l’oeuvre de l’immense et subtil musicien polonais n’est pas reléguée au purgatoire que traversent de nombreux compositeurs après leur mort. Frang et Lifits abordèrent la Partita pour violon et piano (1984) non pas comme une oeuvre ardue de musique nouvelle, mais, comme il convient, comme un classique d’aujourd’hui. Ici, la violoniste opta pour un son plus franc, par moments même marmoréen. Le piano inébranlable de Lifits et la magnifique intensité de Frang firent du Largo central, coeur de cette oeuvre en cinq mouvements, un remarquable moment. Le deuxième jubilaire n’était autre que Richard Strauss, dont on fête cette année le 150ème anniversaire de la naissance. Dans la série des brillants ratages, l’unique Sonate pour violon et piano de l’auteur d’Elektra mérite une place de choix. Certes, elle offre de splendides moments d’un magnifique lyrisme, mais on a trop souvent l’impression d’entendre en parallèle un concerto pour violon et un autre pour piano. Quoi qu’il en soit, Frang et Lifits se montrèrent d’ardents défenseurs de l’oeuvre, la violoniste ayant ici recours à un vibrato plus généreux et déployant une superbe ligne de chant et une maîtrise des phrases longues que lui aurait enviée plus d’une de ces sopranos à qui le compositeur bavarois dédia tant de sublimes pages. Très applaudis, les interprètes accordèrent au public un bis exquis, Estrellita de Ponce dans la transcription pour violon et piano de Heifetz. Patrice Lieberman Bruxelles, Bozar, le 3 décembre 2014

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