Violetta et son double sur la scène dépouillée au Théâtre des Champs-Elysées
Dans la nouvelle production de La Traviata au Théâtre des Champs-Elysées (du 28 novembre au 9 décembre), Deborah Warner invente un double : Violetta à l’hôpital, entourée d’une équipe médicale, et qui interagit avec la Violetta en ville. Pour sa prise de rôle, Vannina Santoni incarne la jeune femme infiniment touchante aux côtés de Saimir Pirgu (Alfredo) et Laurent Naouri (Germont) tout aussi inspirés.
Scène blanche et dénudée
Pendant le prélude, plusieurs lits évoquent une grande chambre d’hôpital. Une jeune femme, mourante, semble se souvenir d’un passé proche. Les invités à la fête apparaissent soudain alors que Violetta, comme un fantôme, est replongée dans son histoire d’amour avec Alfredo, mais en retrait par rapport à l’autre Violetta qui vit l'histoire en temps réel. Tout l’opéra se déroule dans cette étrange observation-interaction entre deux Violetta qui échangent parfois par gestes. Chaque scène est presque vide, ni le somptueux salon de chez Flora ni la luxueuse maison de campagne des deux amants (seulement symbolisée par des voilages) ne proposent le moindre accessoire qui évoque les lieux -les lits d’hôpital deviennent d'ailleurs les tables de jeu au deuxième acte. Pour dire que la richesse ne vaut rien devant la mort ? Et il y a aussi ce sol réfléchissant, tel un gigantesque miroir. Cela peut être lu comme le double de l’image de la vie que l'on mène ou encore le rappel de ce qu’on a vécu. Là, le blanc du milieu hospitalier où Violetta souffre, rendu presque transparent par les jeux de lumières (Jean Kalman) toujours blanches, fait contraste avec les robes sobrement colorées années '40-'50 (Chloé Obolensky) des invitées de la fête. Face à cette blancheur nue et froide, le spectateur perd ses repères et se retrouve perplexe, voire gêné, par l’absence d’objet liés à la vie…
Vannina Santoni et Saimir Pirgu, couple vocal heureux
Vannina Santoni chante Violetta pour la première fois et elle le fait merveilleusement. Sa voix est de plus en plus intense à mesure que le drame avance et, au gré des scènes, elle traduit la souffrance de l’héroïne tantôt par des murmures désespérés tantôt par des « cris » déchirants, sans que son timbre lumineux n'altére les propos dramatiques.
Cette extraordinaire Violetta est profondément heureuse -vocalement- avec son splendide Alfredo incarné par Saimir Pirgu qui offre, lui aussi, une grande lumière dans la voix et des envolées lyriques à la fois fraiches et puissantes grâce à une belle projection. Une heureuse harmonie règne entre ces deux voix et leurs qualités, homogènes, se complètent et se renforcent.
Quant à Laurent Naouri (Giorgio Germont), ce sont surtout sa diction et son jeu d’acteur qui rendent son personnage aussi touchant que celui de Violetta. Le caractère ombragé de sa voix illustre mieux son remords au troisième acte que son autorité au deuxième. La caractérisation vocale du personnage est saisissante par rapport au jeune couple.
Dans le rôle de Flora, Catherine Trottmann s’efface plus d’une fois devant l’orchestre malgré ses efforts d’appropriation du personnage. Clare Presland est une Annina dont la présence apporte un vrai plus par la touche de mezzo-soprano large et l’expression d’angoisse qui ronge le personnage dans son jeu d’actrice. Tous les autres seconds rôles sont distribués de façon équilibrée, on n'y compte aucune faiblesse.
Retour au diapason voulu par Verdi
Jérémie Rhorer opte ici pour le diapason à 432 Hz sur instruments d’époque, respectant ainsi l'intention première de Verdi qui le trouvait plus naturel. Et le chef a réintroduit toutes les notes écrites du compositeur, comme le précise la metteuse en scène dans le programme. Un diapason qui trouble un peu nos oreilles au début : l’orchestre semble sonner beaucoup plus bas que ce qui est réellement, mais la sonorité devient vite plus agréable. Contrairement à l’homogénéité des voix, le son de l'orchestre Le Cercle de l'Harmonie montre quelques "boitements du son", parfois âcres, entre les pupitres. Le Chœur de Radio France (direction Alessandro Di Stefano) est d'une belle unité, toujours égal.
Ajoutons une mention pour le programme qui veille à expliquer les différents diapasons dans l’histoire et propose l'écoute de ces différences à flûte, au violon, au cor et à la trompette, via un code QR.
Crédit photographique © Vincent Pontet
Victoria Okada