Violoncelle et piano de Gabriel Fauré : une intégrale plus que complète
Fauré authentique. Gabriel Fauré (1845-1924) : Sonates pour violoncelle et piano n° 1 op. 109 et n° 2 op. 117 ; Berceuse op. 16 ; Élégie op. 24 ; Romance op. 69 ; Papillon, op. 77 ; Sicilienne op. 78 ; Sérénade op. 98 ; Après un rêve op. 7/1, arrangement Pablo Casals ; Berceuse de Dolly op. 56/1, arrangement Marc Coppey ; Allegro moderato pour deux violoncelles. Marc Coppey, violoncelle ; François Dumont, piano. Avec la participation de Pauline Bartissol, violoncelle. 2023. Notice en allemand et en anglais. 67’ 07’’. Audite 97.825.
Pour commémorer le centenaire de la disparition de Gabriel Fauré, le Français Marc Coppey invite à une promenade dans l’univers pour violoncelle du maître sous la forme d’une intégrale, entre pièces de salon et pages de sa dernière période de création, auxquelles s’ajoutent deux arrangements. Originaire de Strasbourg, où il commence son apprentissage, Marc Coppey (°1969) poursuit sa formation au CNSM de Paris auprès de Philippe Muller, un élève de Navarra, Rostropovitch et Tortelier. Lauréat de plusieurs concours, il se perfectionne auprès de Janós Starker à l’Université Indiana de Bloomington. Soliste réputé et chambriste de haut vol (il a fait partie pendant quinze ans du Quatuor Ysaÿe), Coppey compte à son actif une imposante discographie, qui s’étend de Bach à la musique de notre temps ; il a créé plusieurs concertos composés à son intention.
Sur son magnifique violoncelle « Van Wilgenburg », un Matteo Goffriller de 1711, Coppey propose les deux sonates écrites après la Première Guerre mondiale, des versions élégantes dans la réalisation, lyriques dans l’expression, et équilibrées dans la conception. La Sonate n° 1 de 1917, écrit Jean-Michel Nectoux dans son ouvrage sur Fauré (Seuil, 1972) est une œuvre de grande concentration ; pas d’enjolivures, de bavardages galants, mais au contraire un chant puissant de grand ténor, de la force, de la colère même dans le premier mouvement ; le second est contemplatif, le troisième discrètement allègre. Composée en un petit nombre de semaines, créée à Paris le 10 novembre de la même année par Gérard Hekking avec Alfred Cortot au piano, cette œuvre d’une forte densité, avec des coups d’éclat, encore marquée par les séquelles du terrible conflit, est bien servie par Marc Coppey, qui en affronte franchement les aspérités. Son partenaire, François Dumont (°1985), le suit sur le même terrain. Ce pianiste, qui a notamment été l’élève de Bruno Rigutto au CNSM de Paris et été finaliste du Concours Reine Elisabeth en 2007, joue sur un grand piano Érard de 1891, qui fait partie de la collection du Musée de la Musique. On lira dans la notice les détails sur cet instrument dont le son s’adapte parfaitement à celui du violoncelle de Coppey. Il ajoute une touche au titre de l’album : « Fauré authentique ».
La Sonate n° 2 de 1921 se présente comme une partition d’une toute autre essence. Plus sobre, plus détendue que la précédente, avec des thèmes lyriques chantants dans l’Allegro avant un thème de marche funèbre dans l’Andante et un brillant Allegro vivo conclusif, elle a, elle aussi, été créée par Hekking -qui fut le professeur de Fournier, Tortelier et Gendron- et Cortot. Marc Coppey et François Dumont se glissent avec aisance dans cet autre climat dont ils soulignent le côté mélodique, la solennité du second mouvement et la chaleur globale.
Les autres pages du programme sont des pièces de courte durée, dont certaines font les beaux jours de concerts : la gracieuse Berceuse de 1879 qui a connu une première version pour violon et piano, l’incontournable Élégie de 1880, ici jouée d’un geste généreux mais sans pathos, l’émouvante Romance de 1894, la tendre Sicilienne de 1898, destinée d’abord à l’orchestre avant que le projet ne soit abandonné, ou la malicieuse Sérénade, dédiée à Pablo Casals. Apparentés trop souvent à de la musique de salon, ces morceaux d’inspiration lyrique sont, sous l’archet de Marc Coppey, des moments à la ligne pure et à l’expressivité contrôlée. Il en est de même pour Papillon, aux accents extatiques, pour les deux arrangements ajoutés, et pour ce rare Allegretto moderato pour deux violoncelles. Ce dernier donne l’occasion à Pauline Bartissol, qui a été une élève de Marc Coppey avant d’enseigner à ses côtés, de se joindre à lui pour cette pièce brévissime.
Cet album est un bel hommage à Fauré ; il rappelle la place qu’occupe Marc Coppey sur la scène internationale du violoncelle et permet d’écouter la superbe sonorité de son Goffriller. Quant à la présence du piano Érard, que joue François Dumont avec souplesse, elle fait connaître un instrument de qualité, judicieusement sorti du musée.
Son : 9 Notice : 8 Répertoire : 10 Interprétation : 10
Jean Lacroix